Au départ, il y a une commande : une libre interprétation des sept péchés capitaux proposée à des écrivains confirmés par les éditions du Cerf, lesquelles ont publié dans leur collection « Sources chrétiennes » le lettré du IV^e siècle Évagre le Pontique qui en a établi la liste en grec. Dans cette famille des universelles passions humaines, Mathieu Terence, lauréat de la bourse Cioran, a choisi l'envie, l'une des deux passions du diable (avec l'orgueil), dont il tient le ressentiment pour la forme mutante contemporaine. « C'est le seul péché qui ne peut faire ressentir aucune jouissance. Rien ne l'assouvit, c'est une bouche qui dévore sans cesse. » « Le plus répandu » aussi. L'envie, mal à la fois charnel et spirituel, individuel et collectif, péché irrationnel, est donc pour lui « l'adjuvant décisif de l'époque moderne » ; et le ressentiment, ce qui corrode pour le pire nos sociétés globalisées. En écho à Ci-gît l'amer de Cynthia Fleury, il est surtout une passion triste à combattre et à sublimer.

Après avoir esquissé la généalogie des métamorphoses de l'envie, Mathieu Terence insiste sur sa dimension sociale, que contient spécifiquement le ressentiment, et sur toutes les forces paradoxales qui l'alimentent : l'individualisme qui uniformise, le narcissisme de masse, l'égalitarisme(« idéologie qui est à l'égalité ce que l'absolutisme est au roi », précise-t-il), le consumérisme, la concurrence, l'esprit de cupidité, le désir simultanément stimulé et frustré qui exacerbe des émotions entretenant à leur tour, en boucle, la bile noire du ressentiment. « Enviez-vous les uns les autres, dit le Veau d'or. » En appui sont appelés Kierkegaard, Nietzsche, Shakespeare, Melville et Robert Bresson. Car comment lutter ? En s'inspirant par exemple de saint Thomas qui distingue « la Sainte Envie qui invite à imiter le Bien, la Sagesse, la Vérité », « loue les vertus de l'émulation, qui est peut-être une façon noble de sublimer son ressentiment ». Si Mathieu Terence est tout sauf un nihiliste, la porte est néanmoins étroite. « Échapper au ressentiment présuppose que l'on ne sacrifie pas au culte des idoles de l'époque, en prenant son parti de la solitude, des difficultés matérielles, voire du rejet dont on nous gratifie par mesure de rétorsion. » Pour comprendre l'actualité de ces humains, trop humains péchés, on peut aussi se tourner vers Céline Curiol (la paresse), Cécile Ladjali (la gourmandise), Louis-Henri de La Rochefoucauld (l'avarice), Linda Lê (la colère), Laurence Nobécourt (la luxure) et Laurent Nunez (l'orgueil), les six autres invités de la collection.