Pilote est né en 1959 à l’initiative, parmi d’autres, du publicitaire François Clauteaux et des auteurs Jean-Michel Charlier, René Goscinny et Albert Uderzo, mais c’est sur la période 1968-1972 du magazine repris par Dargaud en 1961 qu’Eric Aeschimann a voulu réaliser une enquête en bande dessinée. Le journaliste à L’Obs, qui se passionne pour la trace de Mai 68 dans l’imaginaire culturel, a convaincu Nicoby d’en assurer la mise en scène graphique. Leur échange, retranscrit en introduction à l’album, en donne le ton, celui d’un récit en tension entre le scénariste et le dessinateur. Le premier veut considérer Pilote ("Mâtin, quel journal !", comme l’a proclamé son sous-titre), à son apogée qui précède son effondrement, comme un objet sociologique, reflet de l’époque. Le second assume de s’intéresser surtout à "la baston", et singulièrement à la réunion historique, dont lui a parlé Eric Aeschimann pour l’appâter, et dans laquelle les dessinateurs du magazine ont "convoqué" dans un café du centre de Paris son directeur d’alors, René Goscinny, contraint (grèves obligent) de traverser Paris à pied depuis les bureaux de Dargaud à Neuilly pour se trouver face à une sorte de tribunal populaire.
Côté baston, les deux auteurs, dont le travail s’organise autour des interviews de Gotlib, Fred, Druillet, Bretécher, Mandrika et, pour Giraud/Mœbius, décédé en 2012, l’exhumation de témoignages antérieurs, en seront pour leurs frais. Tous au moins septuagénaires, les révoltés de l’époque dégagent, quarante ans plus tard, leur responsabilité dans le conflit, préférant exprimer leur admiration pour Goscinny. Mais en laissant le lecteur évoluer entre les contradictions des uns et des autres, Eric Aeschimann et Nicoby restituent avec finesse et humour un moment clé de l’histoire de la bande dessinée française. Fabrice Piault