Venue de la finance, Maud Ankaoua a débuté l’écriture de son premier roman sur un tableau Excel avant de le voir aujourd'hui prendre vie en bande dessinée. Malgré son succès et ses millions d'exemplaires vendus, l'autrice reste décontractée et accessible, quand nous la rencontrons dans les locaux de Casterman, avec une envie de parler simplement, sans détour.
Livres Hebdo : Comment est née l’idée d’une adaptation en bande dessinée de Kilomètre Zéro ? Était-ce une envie de votre part ou une proposition des éditeurs ?
Maud Ankaoua : Ce n’est pas venu de moi. Ce sont les éditions Casterman qui m'ont approchée, par l’intermédiaire d’Eyrolles, mon éditeur principal. Lors de notre première rencontre, j’étais assez sceptique : pour moi, la BD était encore associée à un public adolescent, amateur de Tintin, Astérix ou Gaston Lagaffe. J’ai partagé mes doutes avec les éditeurs : pour me convaincre, ils m’ont donné à voir une scène du roman illustrée par la dessinatrice Mathilde Ducrest.
En la découvrant, j’ai été complètement bluffée : l’image apportait une émotion totalement nouvelle. Ils en ont profité pour me faire découvrir un univers que je connaissais peu, avec des œuvres qui m’ont profondément touchée, comme Quartier Lointain de Jirō Taniguchi. Je n’étais pas une grande lectrice de BD, mais aujourd’hui, je m’y suis mise… et j’adore ça !
Comment s’est déroulée la collaboration avec Mathilde Ducrest ?
Ce sont les éditeurs qui m’ont proposé de travailler avec Mathilde. Évidemment, il a fallu faire des compromis pour trouver un équilibre. Mathilde arrivait avec son regard et ses codes d’artiste, tandis que moi, en tant qu’autrice du roman, et surtout en tant que personne ayant réellement vécu cette histoire, j’avais une vision très précise des scènes.
« J’ai ressenti des choses en lisant la BD que je n’avais pas éprouvées en écrivant le roman »
J’imaginais notamment des couleurs très vives, en résonance avec l’énergie du livre. Chacun a apporté ses idées, ce qui nous a beaucoup enrichis. La collaboration s’est si bien passée qu’on envisage même de retravailler ensemble !
Votre roman Kilomètre Zéro raconte une histoire très personnelle. Qu’avez-vous ressenti en découvrant cette transposition en images ?
C’était très émouvant. J’ai ressenti des choses en lisant la BD que je n’avais pas éprouvées en écrivant le roman. L’adaptation a véritablement sublimé mon travail. Je ne m’attendais pas à un tel niveau artistique, surtout pour une œuvre qui repose autant sur un récit intérieur : Kilomètre Zéro, c’est bien sûr un voyage, mais c’est surtout le fruit de 25 ans de développement personnel et de théories appliquées au quotidien.
J’avais du mal à imaginer comment tout cela pourrait être retranscrit en bande dessinée… et pourtant, ils ont su en préserver l’essence. Depuis, je porte ce projet avec une profonde fierté. Et même si rien n’est encore signé et que cela n’engage que moi, j’imagine très bien mes deux autres ouvrages connaître à leur tour une adaptation du même genre.
Pensez-vous que l’adaptation en bande dessinée va encore davantage démocratiser votre livre ?
J’espère que cela permettra d’attirer de nouveaux lecteurs, notamment ceux qui n’aiment pas lire ou qui en ont peur. Je me rends compte qu’il y a une vraie appréhension face à la lecture : beaucoup de gens pensent qu’il faut être particulièrement doué pour apprécier un livre. Pourtant, moi, je n’ai jamais été particulièrement bonne en littérature.
Après la bande dessinée, un film pourrait-il être envisagé ?
J’ai été approchée plusieurs fois pour une adaptation audiovisuelle. Si je me lance dans un projet de film, il faut qu’il soit en parfaite adéquation avec ma vision et ce que je veux transmettre. Pour l’instant, rien n’est concret, mais je ne ferme pas la porte à cette idée.
Que ressentez-vous en voyant cette adaptation arriver huit ans après la publication de votre livre ?
Il y a neuf ans, en 2016, j’ai réuni une centaine d’amis chez moi pour leur annoncer : « J’ai écrit un livre ». À l’époque, mon univers, c’était plutôt Excel et la finance, donc ils étaient tous un peu surpris. Avec ce roman, je voulais leur partager 25 ans de développement personnel. Ensuite, je suis passée à autre chose : qu’ils le lisent ou non, peu m’importait. Mais deux ou trois semaines plus tard, les appels ont commencé à arriver.
Mes amis revenaient vers moi, me disant que mon livre leur avait beaucoup plu et qu’ils voulaient le faire découvrir à leur entourage. Je ne pensais pas à une diffusion large au départ, mais petit à petit, après plusieurs discussions, j'ai réimprimé 500 exemplaires, puis 1 000, puis 5 000… Au bout d’un moment, des éditeurs sont venus me voir. J’ai finalement publié mon livre chez Eyrolles en septembre 2017.
« Je ne signe jamais un livre avec les éditeurs tant qu’il n’est pas totalement finalisé de mon côté »
Mon projet a toujours été avant tout une aventure humaine : je voulais partager des outils qui m’ont réellement aidée. Quand j’ai offert mon livre à mes amis, c’était dans l’espoir qu’un mot ou une phrase leur apporte quelque chose. Huit ans après, je constate que cette aventure est loin d’être terminée.
Le livre a été traduit en 25 langues, je reçois une multitude de messages et des communautés se forment un peu partout dans le monde. Des gens échangent entre le Japon et le Québec, créent des groupes… On a l’impression d’être une grande famille internationale. Pour moi, l’essentiel reste de continuer à aider les autres et, ensemble, de se soutenir dans les moments difficiles.
La version poche de Kilomètre Zéro s’est écoulée à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde et occupe la 22e place du classement GFK/Livres Hebdo des romans les plus vendus depuis 2001. Que ressentez-vous en voyant une histoire aussi personnelle être appropriée par autant de lecteurs ?
C’est le plus beau des cadeaux. Quand j’ai écrit Kilomètre Zéro, qui est à 90 % basé sur ma propre histoire, je me suis vraiment mise à nu. Si j’avais su qu’autant de gens le liraient, je ne suis pas sûre que j’aurais eu le courage de le faire. Mais au final, cela m’a permis d’abandonner mes "costumes" et d’être acceptée telle que je suis, et ça, c’est un cadeau inestimable.
Ce métier a véritablement changé ma vie. Aujourd’hui, j’organise des conférences, des séminaires, un podcast… Tout ça a bouleversé ma manière de vivre, car j’ai dû cesser de me cacher derrière ces fameux costumes. C’est aussi pour ça que j’ai écrit mes autres livres : je continue à partager des parts de moi-même, avec mes forces et mes faiblesses.
Quand j’écris, je le fais pour mes lecteurs, avec l’objectif de ne jamais les décevoir. D’ailleurs, c’est pour cela que j’y mets autant de temps. À chaque fois, je préviens mes éditeurs qu’il n’y aura peut-être pas de prochain livre. Actuellement, je travaille sur le quatrième, mais s’il ne correspond pas à ce que je veux vraiment transmettre, je m’arrêterai à trois.
Je ne signe jamais un livre avec les éditeurs tant qu’il n’est pas totalement finalisé de mon côté. Je refuse la pression. Je serais bien plus fière de m’arrêter à trois livres qui ont aidé les gens, plutôt que de sortir un quatrième qui ne serait pas aligné avec mes valeurs juste pour des raisons financières. Ce n’est pas du tout ce qui m’intéresse, je ne veux pas tromper mes lecteurs. Tout ce que je fais, je m’y engage à 100%.
Considérez-vous votre roman comme précurseur du mouvement du développement personnel ?
Il y en avait déjà un peu avant, même si j’ai l’impression que c’était moins répandu qu’aujourd’hui. On peut citer des livres comme La prophétie des Andes (qui a changé ma vie), Le moine qui vendit sa Ferrari, ou encore les romans de Laurent Gounelle et Frédéric Lenoir. Raphaëlle Giordano a sorti Ta deuxième vie commence quand tu sais que tu n’en as qu’une un peu avant moi, et cela a été un succès immédiat.
« Prendre cinq minutes pour quelqu'un est devenu un luxe »
Mon roman a suivi une trajectoire similaire. Et puis, tout à coup, ça s’est un peu mis à la mode, avec des centaines de livres qui ont vu le jour dans la catégorie feel-good. D’ailleurs, j’en ai discuté avec des libraires qui me disaient en avoir marre, car tout le monde s’est précipité sur ce segment.
Comment vivez-vous la situation mondiale actuelle difficile, alors que vous prônez justement l’importance d’aller vers les autres ?
Je ne pense pas que les gens soient devenus plus mauvais. En réalité, je crois qu’il y a beaucoup de peur, et que c’est cette peur qui pousse à réagir par l’égo. On montre une façade de protection, d’attaque, par peur. Les événements dramatiques qui se déroulent aujourd’hui dans le monde font souffrir des milliers de gens, et là, on ne parle plus simplement de peur, mais de souffrance extrême. Cela me rend profondément triste, d’autant plus que nous pourrions vivre dans un monde extraordinaire. Mais l’égo et la soif de pouvoir sont si puissants qu’ils entraînent des catastrophes.
Je reste persuadée qu’une petite action de chacun, comme tendre la main à quelqu’un, peut vraiment changer les choses. Bien sûr, je ne peux pas dire cela à des femmes ukrainiennes qui souffrent sous les bombes, mais dans un pays comme la France, où l’on est encore en sécurité, on peut agir à notre niveau. Quand je parle de tendre la main, cela ne signifie pas nécessairement donner de l’argent.
Cela peut être aussi simple qu’offrir un sourire, prendre un moment pour écouter quelqu’un, qu’il s’agisse d’un proche, d’un ami ou d’un collègue. Aujourd’hui, prendre cinq minutes pour quelqu'un est devenu un luxe. On manque de temps, c’est vrai, mais je crois sincèrement que chacun de nous peut y arriver. C’est ce dont nous avons besoin en tant qu’êtres humains et sociaux. Alors, malgré toutes les peurs, je me dis qu’on peut avancer petit à petit, millimètre par millimètre, et ce sera déjà un progrès.