Du diable il avait la beauté. Et le reste aussi ; le goût du désastre, notamment. De la volupté de la chute. Marlon Brando, l'homme qui coucha avec toutes les femmes, tous les hommes, tout ce qui se présente finalement, est mort le 1er juillet 2004, obèse, seul, sale. Pathétique et flamboyant. Et puisqu'il faut appeler le mythe à la rescousse de tels destins, écrivons que c'était plus un ogre dévorant ses enfants qu'un quelconque roi Lear en exil sur un atoll du Pacifique... Il était en toute chose plus grand que la vie, et d'abord plus grand que la sienne. Ce chemin de croix narcissique pavé de mauvaises intentions que nous restitue aujourd'hui, avec son talent coutumier et une plaisante gourmandise, François Forestier.
Familier des "freaks" en tout genre (JFK, Marilyn, Onassis, Howard Hugues...), Forestier intitule cette biographie (qui refuse de se reconnaître comme telle) Un si beau monstre. On ne saurait mieux dire tant, en la matière, l'imagination de Brando semble sans limites, sa dépravation parfaitement assumée. On a peine à trouver un "rosebud", quelque ressort caché, qui puisse justifier de son comportement. Brando ne se contente pas de s'offrir frontalement aux désirs de chacun, il les dévoie et ne trouve de "sérénité" qu'une fois leur malheur fait. Le récit, en ce sens, de ses pérégrinations dans le New York "arty" de l'après-guerre ou le Paris post-libertin de Christian Marquand est mieux qu'édifiant : fascinant. En fait, l'acteur n'aime rien (et surtout pas jouer la comédie) ni personne ; pas même vraiment lui-même. C'est une pure machine de mort nihiliste, dont le sexe serait une arme de destruction massive. Sa gloire comme son agonie jettent sur notre fascination des reflets troubles.