De Michael Herr, les lecteurs français savent peu de choses. Et pour cause... Légende du journalisme, décédé en 2016 à l'âge de 76 ans, il n'a que peu publié de livres, en tout cas en France, mais chacun d'eux s'est avéré absolument indispensable. De son premier, Putain de mort (Albin Michel, 1980), dont on s'accorde généralement à dire que c'est le plus beau récit qui soit sur la guerre du Viêt Nam, à son portrait du célèbre animateur radio Walter Winchell (Julliard, 1992) en passant par son sublime album sur les mythes américains illustré par le très regretté Guy Peellaert, Las Vegas, the Big Room (Albin Michel, 1986).
Peu, mais ce n'est vraiment pas rien, donc. Et confirmation en est apportée avec ce très précieux nouvel opus, C'était Kubrick, qui se veut à la fois comme un tombeau pour un ami (il fut publié une première fois dans les pages du magazine américain Vanity Fair peu de temps après la mort du cinéaste) et une défense et illustration de son œuvre. Ce fut Kubrick qui vint à lui, ayant lu Putain de mort et pensant sans doute déjà à ce qui deviendrait bien plus tard son fascinant Full Metal Jacket. S'ensuivirent de longues années d'amitié ponctuées par d'interminables échanges téléphoniques, le réalisateur ayant quitté son pays natal pour un vaste manoir anglais tandis que l'écrivain demeurait le plus souvent aux États-Unis. D'ailleurs, le premier intérêt de C'était Kubrick est de mettre à bas les sottises trop complaisamment colportées sur l'auteur de Docteur Folamour, selon lesquelles sa réclusion volontaire et son comportement sur les tournages étaient la marque d'une misanthropie, d'un mutisme et aussi d'une misogynie immenses. Au contraire, Michael Herr nous présente un homme (certes, ayant comme défaut un rapport assez pathologique à l'argent) curieux de tout et de beaucoup. Un lecteur compulsif - d'Hérodote à Arthur Schnitzler, de Hemingway à Raul Hilberg -, dont on découvre qu'il comptait parmi ses meilleurs amis John le Carré. Un homme tranquille, père et mari aimant, ne répugnant jamais à s'entretenir des faits d'époque, politiques ou autres. Un self-made man pétri d'une vraie culture humaniste. C'est cet homme-là auquel Herr dit adieu en des pages magnifiques d'intelligence à la fin du volume en réhabilitant l'ultime film de son ami disparu, Eyes Wide Shut, fort mal compris alors par la critique. C'était Kubrick, les films sont là, ça l'est toujours.
C'était Kubrick Traduit de l'anglais (États-Unis) par Erwann Lameignère
Séguier
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 14,90 € ; 128 p.
ISBN: 9782840498162