On ne saurait aujourd’hui se passer de lui, tant comme coloris que comme vocable. « Rose », c’est aussi bien un qualificatif qui décrit cette tonalité tendre, métaphoriquement associée au bonheur, que la teinte elle-même qui s’est imposée dans les arts visuels, la mode, les objets… comme couleur à part entière. Or il n’y a pas toujours eu de mots, comme le rappelle Michel Pastoureau dans le septième volume de la série de son histoire sociale et culturelle des couleurs consacré au rose, qui vient de paraître au Seuil.
Cette couleur a longtemps considérée comme une « demi-couleur, parce qu’elle procédait d’un mélange de couleurs, contrairement aux couleurs principales : le blanc, le noir, le rouge, le bleu, le jaune, le vert – ce dernier n’était pas pensé comme du bleu et du jaune mélangés car sa fabrication se faisait directement à partir de pigments verts. »
Un rouge pâle ou une espèce de blanc ?
Dans l’Antiquité et au Moyen-âge, le rose a un statut ambigu. Est-ce un rouge pâle ? Une espèce de blanc ? Où se range-t-il dans la gamme des jaunes ? L’adjectif rhodados en grec se réfère à la fleur. Quant à roseus en latin qui vient de rosa, la fleur toujours, il est « un faux ami qui ne signifie jamais “rose” mais le plus souvent “rouge brillant”, “beau rouge”, “vermeil” » Le rose était simplement qualifié de « pâle » ou de « couleur pâle ».
Dans le dictionnaire de Furetière datant de 1690, l’entrée « rose » demeure restreinte au domaine botanique, de même qu’en anglais pink jusqu’au XVIIIe siècle désigne uniquement l’œillet. L’épithète désignant alors la couleur est « incarnat », mais il s’agit d’un rose plus saturé que l’actuel rose layette.
Si, à la fin de la période médiévale, on importe une teinture rose des Indes puis plus tard du Nouveau Monde, extraite du bois de Brésil, c’est dans la Venise des peintres champions du chromatisme, Titien et consorts, que le rose (l’incarnat) est déclaré « la plus belle des couleurs. »
Mode aristocratique
Au XVIIIe siècle, la mode aristocratique est aux teintes pastel dont le rose, on porte ainsi le rose, le vert amande et le bleu ciel afin de se distinguer socialement. Les bourgeois pouvant désormais s’habiller de couleurs vives, l’élite choisit quant à elle une palette tendre tout en discrétion. Le siècle suivant c’est l’acmé du rose : le romantisme le consacre définitivement comme la couleur de la douceur, du plaisir, du bonheur, et surtout de l’amour ! Les horticulteurs réussiront à créer des roses roses pour symboliser cette ultime vertu.
L’odyssée du rose avec le passionnant historien Michel Pastoureau au timon nous entraîne avec délice, à travers des pages richement illustrées, jusqu’à l’époque contemporaine et à la pink culture. Au XXe siècle, après des moments d’ambivalence où, extrêmement genré, il se cantonne à l’habillement des fillettes qui s’oppose à celui des garçons qu’on vêt de bleu, le rose se décloisonne enfin et relègue aux orties les préjugés qui s’attachaient à son teint.
Fini le temps où il était la marque d’un certain opprobre assimilé au stupre ou à l’homosexualité lorsque cette orientation sexuelle était jugée comme une déviance. Pop art, kitsch, humoristique… Barbie ou Panthère rose ? À chacun sa nuance de rose : « Même les rugbymen portent des maillots roses, inconcevable quinze ans plus tôt ! »