3 septembre > Contes Liban

Depuis qu’il fut introduit en Europe par la traduction d’Antoine Galland en 1704, le livre des Mille et une nuits n’a cessé de susciter l’engouement et d’être traduit dans d’autres langues ; préfigurant le réalisme magique, ces contes donnent à l’espagnol l’épithète milyunanochesco, "mille-et-une-nuitesque"… Ils furent portés à l’écran par Pasolini. Plus récemment, c’est sur la scène du Festival d’Edimbourg que les fictions de Schéhérazade se sont redéployées sous la plume de Hanan el-Cheikh. Outre une adaptation théâtrale, elle écrit un recueil de contes. La puissance d’un classique tient de ce qu’on peut sans cesse le relire. La romancière libanaise l’a revisité comme on revisite son enfance en essayant d’en restituer les enchantements premiers. Elle se souvient, raconte-t-elle dans le prologue de La maison de Schéhérazade, de ces 19 histoires tirées du chef-d’œuvre oriental, du jour où, à 10 ans, chez une amie, elle vit enfermés dans la bibliothèque du père de cette dernière les volumes des Mille et une nuits. Quand elle voulut toucher l’un des livres, son amie lui répondit que, selon les dires paternels, quiconque s’aventurerait à lire l’ouvrage tomberait raide mort à la suite de sa lecture. Ces belles pages étaient interdites à cause de leur contenu érotique.

L’auteure de Toute une histoire (Actes Sud, 2010, prix du Roman arabe 2011) ne se prive pas ici de faire goûter toutes les épices du récit original. Djinns, mauvais esprits, princesses, vizirs, marchands, derviches, portefaix, parmi les personnages peuplant ces Nuits, les femmes ont la part belle, dussent-elles être sous le joug de la domination mâle, elles trouvent des issues de secours par le plaisir ou la poésie. Pour Hanan el-Cheikh, le féminisme est un humanisme, la fiction est due à l’imagination d’une femme. Le roi Shahrayâr, dépité par l’infidélité de son épouse qui s’adonnait à des orgies avec ses esclaves, décide de déflorer chaque nuit une jeune fille que son vizir mettrait à mort le lendemain. La fille du ministre, Schéhérazade, se dévoue pour partager la couche du souverain afin de sauver ses sœurs d’infortune. Elle conçoit un stratagème : elle raconterait chaque soir une histoire qu’elle laisserait en suspens jusqu’au jour suivant afin d’atermoyer son exécution. Tel pêcheur devient un richissime joaillier grâce au génie qu’il a libéré d’un aspersoir, tel derviche raconte comment il a égorgé sa femme et l’a découpée en morceaux par jalousie et par erreur… Ainsi se déroule une narration merveilleusement arborescente : "Les mots de Schéhérazade devinrent son bouclier face au sabre suspendu au-dessus de sa nuque, à chaque aube naissante, tel un augure funeste. Hypnotisé par ses récits, le roi ne pouvait plus s’en passer." C’est là l’histoire de la littérature contre la barbarie.

S. J. R.

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