7 mai > Nouvelles, Essais Chine

Le professeur Wang San se remue les méninges au sujet d’articles qu’il doit rédiger pour le Grand dictionnaire de poésies et chants chinois dans son appartement d’intellectuel, "une pièce d’à peine douze mètres carrés" où vivent également sa femme et leur jeune fils. Son épouse, ancienne volleyeuse aussi corpulente et forte qu’il est chétif et frêle, le bouscule littéralement dans ses pensées en renversant son encrier et lui demande d’aller acheter un balai. L’entrée en matière comique de Professeur singe, publié dans un diptyque formé également par Lebébé aux cheveux d’or, autre récit de sa première période, est typique de l’ironie gouailleuse de Mo Yan, héritée de ses racines rustiques. Las des foudres de madame, le professeur se transforme en singe. La deuxième histoire est une narration complexe composée des points de vue "glissants" des personnages : une vieille paysanne aveugle dont s’occupe sa bru ; cette même bru, jeune femme bridée par le devoir filial et voyant sa jeunesse s’étioler chaque jour un peu plus ; son époux, le fils de la vieille, instructeur militaire expédié loin du village natal et du lit conjugal ; un cousin de ce dernier, un jeune campagnard blond !, dit Cheveux-jaunes, plein de sève et qui en pince pour la jeune femme. Ambiguïté des rapports, solitude, désir, frustration, c’est au tamis d’une écriture à la fois réaliste et hallucinatoire foisonnant d’excès "carnavalesques" que Mo Yan dépeint toutes les nuances du cœur des hommes.

Le lauréat du Nobel de littérature 2012, né dans une famille de paysans illettrés, n’oublie pas d’où il écrit : d’une enfance pauvre. "Oui, c’est vrai, quand j’ai commencé à écrire, avoue-t-il dans Dépasser le pays natal : quatre essais sur un parcours littéraire, qui paraît de manière concomitante avec le volume de fiction, je n’étais pas poussé par un noble idéal. […] Ce qui m’a motivé avant tout, c’est l’envie de manger de bonnes choses." De là, l’ancrage social très marqué de ses œuvres quelle qu’en soit la forme : fresque rurale sur fond de guerre sino-japonaise (Le clan du sorgho rouge, Seuil, 2014) ou fable sur une bureaucratie corrompue (Le pays de l’alcool, même éditeur, 2000, repris chez Points, 2004). Mais "au fur et à mesure que je mangeais à ma faim, explique encore l’auteur de La joie (Picquier, 2007, et qui ressort ces jours-ci chez Points) dans "La faim et la solitude sont des atouts de ma création", […] j’ai compris que, même avec trois repas de raviolis assurés chaque jour, les gens souffraient, que cette souffrance psychique n’était pas moindre que celle de la faim. Exprimer cette souffrance faisait aussi partie du devoir sacré de l’écrivain." Sean J. Rose


24.04 2015

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