Parce que c'était lui, parce que c'était elle, Alain et Catherine Robbe-Grillet ont formé, durant plus d'un demi-siècle, l'un de ces couples littéraires improbables, dans la grande lignée de Sartre et Beauvoir, d'Aragon et d'Elsa. En un peu plus sulfureux encore. Alors, parce que c'est à elle que le destin a accordé de survivre à l'homme de sa vie, Catherine se fait aujourd'hui "l'historiographe au petit pied d'Alain Robbe-Grillet". Livrant ses souvenirs à partir des précieux agendas qu'elle tient non seulement, mais rédige, "sans les édulcorer, leur mettre un cache-sexe".
En quelques jolies formules, le projet est défini. Le ton donné, les limites posées : tendresse et humour, intimité mais pas impudeur. Le tout dans un style d'une grâce infinie. Il serait injuste de cantonner Catherine Robbe-Grillet, née Rstakian, dans son rôle de "femme de grantécrivain" - qu'elle a d'ailleurs rempli avec bonheur et patience. Sous son nom marital, ou son pseudonyme de Jeanne de Berg, elle est elle-même un écrivain à part entière, que la grande ombre et la notoriété internationale du "pape du nouveau roman" (malgré lui) ne doivent pas occulter.
Composés à partir des fameux agendas qui, un jour, après la mort de Catherine, rejoindront, comme toutes les archives du couple, l'Imec et l'abbaye d'Ardenne, ces souvenirs étaient à l'origine des entretiens avec Emmanuelle Lambert, de l'Imec, justement. Mais ils sont devenus une espèce de dictionnaire farfelu où, d'"Agendas" (les siens, donc) à "Yaourts (pots de)", qu'Alain conservait compulsivement "au cas où", Catherine raconte "certaines facettes de [leur] vie de couple", met l'accent sur certains traits de la personnalité de son illustre et fantasque époux, souvent bien éloigné de son image publique.
Alain le sybarite raisonnable, amateur de bordeaux et de puros, l'impuissant sadomasochiste, le fou de cactées, le "professeur de lui-même", comme il disait, dans les universités américaines... Au passage, elle éclaire certains épisodes qui firent beaucoup jaser : comme la liaison d'Alain avec l'actrice Catherine Jourdan, ou sa rocambolesque élection à l'Académie française...
Parce que c'était lui, parce que c'était elle, Catherine n'a jamais douté, leur couple "permissif" n'a jamais été en péril. Alain est mort le 18 février 2008. Ils ont été mariés cinquante ans et trois mois. Catherine a exigé de conserver son urne funéraire avec elle. Ça s'appelle l'amour fou.
De cette relation unique, témoigne aussi la Correspondance du couple, éditée par Emmanuelle Lambert, qui court de 1951, date de leur rencontre (ils se marieront sept ans plus tard), jusqu'en 1990. Après, Alain voyageant moins, "Petit mari" et "Chaton doré" étaient presque tout le temps ensemble, et n'avaient plus besoin de s'écrire. Dommage.