Longtemps, il put paraître à la mode de se gausser de l'Académie française. La vieille dame du 23, quai de Conti, née en 1634, pas toujours exempte de reproches il est vrai, notamment d'avoir « loupé » certains des plus grands écrivains, étant taxée de conservatrice, poussiéreuse, ringarde voire réactionnaire. En particulier dans le domaine de la langue, puisque, au moyen de son Dictionnaire - première édition parue en 1694, elle est en train de rédiger la 9e, depuis 1986, censée être achevée en 2024 -, elle en arbitre l'usage.
Mais, même sous la Coupole, « The Times They Are A-Changin' », comme chante un prix Nobel. Et l'Académie, tout en préservant ses fondamentaux, a pris en compte l'évolution de notre société, au risque de quelques polémiques d'arrière-garde. Depuis 1980 et Marguerite Yourcenar, elle accueille des femmes éminentes en son sein. Et l'une d'elles, Hélène Carrère d'Encausse, qui vient de disparaître, l'a même dirigée en tant que secrétaire perpétuel durant vingt-quatre ans. Et puis, depuis 1971 et l'Américain Julien Green, point n'est besoin d'être français « de souche » pour y être élu. Il suffit d'avoir notre langue « en partage », selon la belle formule de Maurice Druon, qui fut l'un de ses plus grands secrétaires perpétuels.
Et l'Académie française de puiser tout autour du globe : la Russie avec Andreï Makine, Henri Troyat et Joseph Kessel, le Sénégal avec Léopold Sédar Senghor, la Belgique avec Félicien Marceau, Marguerite Yourcenar ou François Weyergans, l'Argentine avec Hector Bianciotti, l'Algérie avec Assia Djebar, la Géorgie avec Hélène Carrère d'Encausse... Et l'on en oublie. La Grande-Bretagne avec Michael Edwards, la Chine avec François Cheng, l'Italie avec Maurizio Serra, Haïti avec Dany Laferrière, l'Espagne et le Pérou avec Mario Vargas Llosa... Une élection contestée pour ce dernier, puisque, quoique francophone, il n'écrit pas en français. Mais comment retoquer un Prix Nobel de littérature ?
Tout récemment, l'Académie française a franchi un cap supplémentaire en se choisissant comme nouveau secrétaire perpétuel Amin Maalouf, le premier Libanais des quarante immortels depuis 2011. Né en 1949 à Beyrouth, Maalouf est un melting-pot à lui tout seul, avec, dans sa famille, des francophones et des anglophones, des melkites, des protestants, des maronites, et même des athées ! Dès son premier livre, Les croisades vues par les Arabes (JC Lattès, 1983), il faisait dialoguer les cultures, établissait des ponts entre l'Orient et l'Occident, plaidait pour le respect mutuel, le dialogue, l'ouverture à l'Autre. Devenant ainsi un symbole malgré lui, car l'homme est discret, voire modeste, et son seul engagement politique connu est en faveur de la paix. Il est bien évident, même si, en votant massivement pour lui le 28 septembre dernier, ses collègues ne pouvaient prévoir les événements actuels au Proche-Orient, que cette élection prend une résonance particulière. Ici, dans le Village et alentour, au Liban, et partout dans un espace francophone qui se rétrécit comme peau de chagrin. Gageons qu'Amin Maalouf aura à cœur de poursuivre l'œuvre de ses prédécesseurs, d'incarner une Académie française qui demeure, n'en déplaise à certains, l'une de nos plus prestigieuses institutions, respectée dans le monde entier.