A la fin des 480 pages de cette tragi-comédie contemporaine - plus tragique que comique, on comprend mieux pourquoi il a fallu près de six ans à l’Australien Steve Toltz pour mettre un point final à son deuxième roman, Quicksand, titre original auquel Belfond a préféré le plus ésotérique Vivant, où est ta victoire ?. Consacré enthousiasmant jeune espoir de la littérature anglo-saxonne avec Une partie du tout (Belfond, 2009, disponible en 10/18), son premier roman finaliste du Booker Price, le romancier était attendu avec curiosité.
Touffu, dramatique et caustique, ce nouveau roman raconte la vie de 20 à 40 ans d’Aldo Benjamin, né en 1973, domicilié à Sydney, champion XXL de la lose. L’homme aux "milliards de projets avortés" qui rate tout jusqu’à ses tentatives de suicide. Le garçon à qui l’exhortation de Beckett "Ever tried. Ever failed. No Matter. Try again. Fail again. Fail better" semble avoir été taillée sur mesure.
Quand le lecteur fait sa connaissance, Aldo est cloué sur un fauteuil roulant et abreuve de pensées décousues son pote de lycée Liam qui prend des notes dans l’idée d’écrire la biographie de son ami. Liam Wilder, pourtant, n’est pas l’écrivain à succès qu’il espérait devenir lorsqu’il tentait d’appliquer les théories esthétiques consignées par son professeur d’arts plastiques dans son livre Artiste à l’intérieur, Artiste à l’extérieur. Faute d’avoir trouvé "son sujet de prédilection", il a abandonné ses rêves d’écriture pour devenir à 32 ans officier de police. A ce poste, il va passer des années à sortir du pétrin son ami, roi de la malchance, "serial entrepreneur" montant avec une énergie compulsive des "PME spécialisées dans la distribution de produits invendables".
Sous la forme du manuscrit des cinq premiers chapitres du livre de Liam, du compte-rendu d’un interrogatoire et d’une déposition dans un procès pour meurtre, le roman diffracte le portrait d’Aldo le Maudit, qui perd son grand amour, arnaque sa propre mère, désespère ses amis, compagnonne avec la mort violente et prématurée (son père, sa sœur, une petite fille mort-née) et devra affronter ses deux pires cauchemars : l’hôpital et la prison.
Steve Toltz offre à ses deux défaits de la vie son humour corrosif et noir, des dialogues métaphysiques dans lesquels il désosse la peur de vivre et la fascination de l’échec. Plusieurs scènes impressionnent durablement la rétine du lecteur, dont celle où Aldo paraplégique atteint avec sa planche de surf un rocher isolé battu par les vagues, inspirant au narrateur ce commentaire radical d’un fatalisme sans colère : "J’ai oublié combien l’ennui se ligue avec la peur pour faire du surf le sport le plus abject de tous les temps."V. R.