L’ingrédient de base de la SF est toujours le même : d’un coup, dans une société tout à fait semblable à la nôtre, un phénomène inédit se produit qui redéfinit tous les fonctionnements de ladite société. Fin du monde, attaque mutante, guerre nucléaire : l’enjeu est toujours de savoir comment les hommes vont s’y adapter. Là où Chaosmos subvertit une première fois les règles du genre, c’est que le phénomène en question a lieu au cœur même des hommes : ils deviennent fous furieux. Pour une place de parking, on s’égorge ; pour une scène familiale, on tue père et mère. Cette fureur cruelle s’observe d’un coup aux quatre coins de la planète, et c’est un obscur poète islandais qui, sur son blog, la baptisera «onde chaotique», expression vivante du «chaosmos».
Les années passent. Des générations naissent qui n’ont rien appris d’autre que la menace que sont pour elles leurs proches, et qu’elles sont elles-mêmes pour autrui. L’humanité a pris goût au sang. Ames sensibles s’abstenir : du roman de SF, on passe au snuff-movie. Emissions de cuisine cannibale en direct sur les réseaux, viols couplés de décapitations, les gangs pullulent chacun avec sa marque de fabrique. Le bon «chaos maker» se paye les services d’un biographe, écrivain de l’ancien monde reconverti en reporter du pire, avec micro et magnétophone. Ainsi naîtra «l’Ode», chant dernier d’un biographe qui synthétise les plus grands faits d’armes des pires rejetons de la race furieuse, mâtinée de références homériques, et bientôt reprise et répétée par des aèdes de hasard…
Là est en effet la réflexion sous-jacente du roman de Christophe Carpentier, qui délaisse le style incisif du Culte de la collision pour un foisonnement baroque : que projette l’humanité dans les récits qu’elle se fait d’elle-même ? Qui vient en premier : le mouvement du cœur ou le nom qu’on lui donne ? Le mal ou sa légende ? Ce chaosmos est-il autre chose qu’une invention de poète épargnant aux hommes toute responsabilité vis-à-vis de leurs mauvais instincts ? Quand le roman interroge le rapport des hommes à leur imaginaire, la mythologie n’est pas loin. Fanny Taillandier