Mohawk, le très beau coup d'essai de Richard Russo paru aux Etats-Unis en 1986, était curieusement resté inédit en France. Les lecteurs fidèles de l'auteur du Déclin de l'empire Whiting (prix Pulitzer, Quai Voltaire, 2002, repris en 10-18) découvriront là un écrivain certes débutant, mais déjà en pleine possession de ses moyens et de son univers romanesque.
Russo avait d'entrée de jeu choisi d'installer le décor de son oeuvre dans cette petite ville imaginaire de Nouvelle-Angleterre, au nord de l'Etat de New York, qu'il allait ensuite rarement quitter. On la visitera avant la destruction du vieil hôpital, et après l'installation d'un Kentucky Fried Chicken. L'industrie du cuir était jadis plus florissante à Mohawk, mais l'atelier de tannerie, où les ouvriers sont payés à la pièce, est encore en service. Pour se détendre après le travail, rien ne vaut un détour par la loterie, le bowling ou le Mohawk Grill, dont le patron, Harry, est capable de demander une femme en mariage s'il a trop bu.
Anne Grouse a été la plus belle fille du coin. Elle a épousé Dallas, pour qui "la vie était une succession d'accidents ratés de justesse", beau gosse un peu bagarreur et séducteur, dont elle a fini par divorcer.
Voici encore sa cousine Diana, prompte à essayer de se lâcher pour vite regretter de l'avoir fait, mariée à ce type en or qu'est Dan. Son fils Randall, lui, se révèle un adolescent soucieux de se faire oublier et de ne pas avoir de trop bonnes notes à l'école. Quant à son vieux père, Mather Grouse, les années l'ont amené à penser que, "parfois, les gens deviennent fidèles à une erreur", qu'ils peuvent "y consacrer toute leur vie"... Capable d'une rare humanité, Richard Russo montre des hommes et des femmes qui ont envie d'un nouveau départ. Des êtres touchants avec leurs rêves déçus, leur bonheur trop fragile, leurs amours inachevés. Il ne faut surtout pas se priver de prendre son billet pour Mohawk, dont on part parfois, mais où l'on revient toujours avec la même émotion.
