Avant-critique Récit

Nathan contre Nathan. C'est un livre subtil et déroutant, où Nathan Devers joue un peu au chat et à la souris avec son lecteur. À un moment, il marque une pause dans le fil de son récit, globalement chronologique, pour se confier sur son projet littéraire : « Mon objectif n'était pas d'invoquer [ces libertés] pour classer mon texte dans le genre fourre-tout de l'autofiction, où les auteurs se contentent de modifier deux ou trois minuscules détails − le prénom de leur ex, la couleur de leur chien, le métier de leur voisin − pour se targuer d'avoir composé "une œuvre d'imagination". » Le ton est donné, sans concession, et même avec un certain culot. À même pas 30 ans, ce garçon ne manque pas de panache, ni d'humour. Ceux qui le voient à la télé, où il est régulièrement chroniqueur, le savent bien.

Nathan Devers, né en 1997, est un brillant sujet, un surdoué même, normalien, agrégé de philo, auteur déjà, depuis Généalogie de la religion (Cerf, 2019), de quatre livres remarqués, dont le dernier, Les liens artificiels (Albin Michel, 2022), a même failli remporter le Goncourt des lycéens. Il faut croire que les problématiques du jeune écrivain, ses interrogations, ses doutes et sa sincérité parlent aux millennials. Le voilà qui se lance ici dans ce qu'on pourrait appeler une autobiographie spirituelle. Ou comment le petit Nathan Naccache, rejeton de pieds-noirs algériens modestes, plutôt libéraux, « Juifs du Kippour » installés dans le quartier d'Auteuil, redécouvre un jour sa judéité et décide de la vivre avec la plus grande rigueur. Il quitte son lycée pépère et bourgeois, sa petite synagogue tranquille, pour un lycée juif séfarade intégriste de banlieue où, face au racisme, à l'homophobie, à l'identitarisme ambiants, il se découvre misanthrope. Mais il persévère, plaçant sa foi par-dessus tout, et s'apprête naturellement à devenir rabbin. Jusqu'à ce qu'un vrai rabbin (en fait, un « collage » de plusieurs) plus lucide que d'autres, lui dessille les yeux et le convainque qu'il se ment à lui-même et que sa voie n'est pas celle-là. C'est qu'entre-temps, l'adolescent avait découvert un tout autre univers, non moins captivant que la religion : la littérature d'abord, incarnée par Saint-Exupéry, à qui il consacre quelques belles pages. Viendront ensuite Baudelaire, Proust, Barthes et tant d'autres, dans une boulimie désordonnée. Et puis, surtout, il y aura la philosophie, qui lui fait accomplir une véritable révolution intérieure. Comment la foi pourrait-elle résister à l'interrogation critique, à ce scepticisme passionné qui devient son nouveau credo et auquel il est demeuré fidèle depuis ? Nathan Naccache est devenu Nathan Devers (parti de quelque chose vers autre chose), et l'aspirant rabbin, professeur de philo. Ce fut douloureux, apparemment, de se tuer soi-même, mais il s'en est tiré magna cum laude. On le suit pas à pas, page à page, avec un réel bonheur de lecture, même si l'on ne comprend pas toujours tous les méandres de sa pensée. Tout le monde ne peut pas être un surdoué.

 

Nathan Devers
Penser contre soi-même
Albin Michel
Tirage: 11 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 336 p.
ISBN: 9782226483867

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