6 SEPTEMBRE - HISTOIRE France

Un bon livre, c'est un livre dont on se souvient. Parce qu'il vous a emmené ailleurs. Cet ailleurs, chez Emmanuel de Waresquiel, c'est la mort. La mort des autres, évidemment. C'est-à-dire un peu la sienne, tout de même. Celle à laquelle on pense - c'est lui qui le dit ! - lorsqu'on a dépassé la cinquantaine et que l'on a consacré plusieurs biographies à des personnages historiques, notamment à Talleyrand (Fayard, 2003, et CNRS éditions, 2011).

La mort, c'est le territoire de l'historien. Mais l'historien éditeur - on lui doit plusieurs ouvrages chez Larousse, comme Le siècle rebelle en 1999 - explore cette fois celui de la littérature dans cet essai pudiquement intitulé Entre deux rives. Il y est question des auteurs qu'il fréquente, qu'il relit, qui l'accompagnent. De Léautaud au prince de Ligne, un moraliste cynique pour commencer et un sceptique joyeux pour terminer, il en a retenu neuf, comme les muses, pour en saisir les derniers instants.

Certains sont attendus, tant leur mort a marqué leur vie. C'est le cas des suicidés, les deux Jacques surréalistes, Vaché et Rigaut, qui se tuèrent après les massacres de 14-18, le mélancolique Nerval qui accrochait des étoiles à sa corde de pendu, ou encore Stefan Zweig qui emportait avec sa dose de Véronal les images du monde d'hier. De ces destins brisés, Waresquiel tire de subtils portraits, tout en élégance, sans sensiblerie.

Et puis, il y a la mort sous la forme du temps qui passe chez Julien Gracq, petit prof à la Sempé qui rêvait de grands voyages littéraires, ou la mort de la jeunesse chez Benjamin Constant, éternel Adolphe épris de liberté et pris par le corps des femmes. Enfin, il y a Robert Brasillach. A priori, on se demande ce qu'il vient faire là ! Et on comprend. Waresquiel n'excuse rien, au contraire. Il cherche à comprendre. On avait cru que les fées s'étaient penchées sur son berceau d'écrivain. En fait, c'étaient des sorcières qui l'avaient fait grandir trop vite et trop mal. "La haine de soi conduit tout droit à celle des autres."

Waresquiel nous montre un homme qui se dégoûte et qui finit par dégoûter tout le monde. "Brasillach invente le texte de son propre martyre pour ne pas avoir à se renier ni à s'avouer ce qu'il est, enfermé dans ses rêves et ses contradictions." Et jusqu'au poteau d'exécution, il préféra regarder la mort en face plutôt que lui-même.

Avec ces brillants croquis, Waresquiel nous livre un peu de sa bibliothèque, donc beaucoup de lui. Au fond, ce qui l'intéresse, c'est moins la mort que la manière de s'en approcher, de l'envisager, de la mettre en scène. En somme, tout ce qui caractérise ces écrivains. De cela, il ressort une évidence : les seules choses qu'un auteur ne puisse raconter, c'est sa naissance et sa mort. Entre ces deux rives coule la littérature.

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