Après deux reports en 2022, la 31ème édition de la Foire du livre de New Delhi se tiendra du 25 février au 5 mars et, comme prévu depuis 2017, la France sera l’invitée d’honneur. Les représentants d’une dizaine de maisons d’édition françaises ainsi qu' une vingtaine d’auteurs – dont la lauréate du dernier prix Nobel Annie Ernaux – sont invités sous l’égide de l’Institut français en Inde et du Bureau international de l’édition française (Bief) .
Un marché de 1,5 milliards d’habitants
Pour reprendre contact avec les représentants de ce marché indien porteur mais si particulier, les éditeurs français misent sur la littérature jeunesse et la BD. Parmi les représentants français inscrits au stand du Bief, Mediatoon, dont le service des droits étrangers est dirigé depuis peu par Nicolas Lebedel. La filiale du groupe Media Participations, qui emploie un chargé de mission basé en Inde, s’intéresse depuis 10 ans à ce territoire aux 22 langues officielles. « Nous travaillons actuellement avec trois à quatre éditeurs en langue tamoul », l’une des plus parlées avec l’hindi, explique-t-il.
Selon une étude du Bief (2020) le colossal marché indien -près de 1,5 milliards d’habitants et 20 000 distributeurs- est dominé à 70% par l'édition scolaire et à 25% par l’enseignement supérieur. Parmi les 5% de l’édition commerciale, la production est à 45% en langues régionales et 55% en anglais. Et pour la BD, « il y a un marché de comics locaux en noir et blanc vendus autour de 1€ avec une couverture souple », précise le représentant de Mediatoon. Les comics américains occupent une grande part du marché d’import et sont vendus de 7 à 8€, portés par leurs déclinaisons cinématographiques. Viennent ensuite les mangas, entre 10 et 14€. Mais la BD franco-belge tente de trouver sa voie également, portée par les films et les séries. « Nous avons une quarantaine de titres disponibles en tamoul ou hindi, se satisfait Nicolas Lebedel, comme Thorgal ou Lucky Luke ».
10 000 éditeurs actifs en Inde
En moyenne, le premier tirage des titres tourne autour de 1 000 exemplaires dans les langues régionales comme le Kannada. Une langue du sud-ouest parlée par environ 70 millions d’indiens, dont Vasudhendra Shroff, auteur et l’un des 10 000 éditeurs actifs du pays. Il publie depuis une vingtaine d’années six livres par an, en majorité des traductions provenant du marché anglais. Mais il s'est ouvert à la France à la fin de l'année dernière, en publiant Persépolis de Marjane Satrapi. Une entreprise qui n'allait pas de soi. « Avec les Français, le vrai challenge pour nous est d’obtenir un prix de cession de droits intéressant, dit-il. Car les coûts de traduction sont importants. » Le roman graphique irano-français a pu être publié en Inde grâce au programme d’assistance de publication (PAP) Tagore, mis en place par l’Institut français dans les années 1990. Pour cette saison 2023/2024, l’organisme donne la priorité aux aides à la traduction d’ouvrages jeunesse et BD.
« Pas en Inde pour faire des coups »
L’un des leviers importants pour les éditeurs français en Inde est le webtoon, ce format numérique de BD originaire de Corée du Sud et spécifiquement conçu pour l’usage mobile sur smartphone ou tablette. Comme les autres leaders de l’édition française, Media Participations s'y accroche, avec notamment Webtoon Factory des éditions Dupuis. L'Hexagone représente le 6ème marché mondial du webtoon, qui y afficherait un chiffre d'affaires plus de 60 millions d’euros. « La folie du webtoon devrait contribuer au développement du récit graphique en Inde », assure Nicolas Lebedel. Les analystes de Valuates Reports projettent une envolée du marché mondial du webtoon de près de 30% par an. Il devrait atteindre près de 22 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2028, l’Inde se positionnant en 16ème position du marché, derrière l’Italie ou la Russie mais devant le Brésil et le reste de l’Amérique latine. De quoi rester à l’affut pour les acteurs du secteur. « Nous ne sommes pas en Inde pour faire des coups », résume Nicolas Lebedel. Les foires de New Delhi, de Calcutta (qui vient de s’achever), de Chennaï ou la biennale de Kochi, devraient permettre aux éditeurs français d’organiser un maillage de ce territoire gigantesque, promis à une belle croissance depuis une décennie, mais encore difficile à appréhender.