La collection "La forêt", dirigée chez Stock par Brigitte Giraud, avait déjà accueilli l’année dernière Une dernière fois la nuit, le premier texte de Sébastien Berlendis, professeur de philosophie à Lyon. L’autre pays esquisse une nouvelle fois la figure incertaine et mouvante d’un narrateur qui porte l’Italie dans son cœur. Il traverse villes et paysages en solitaire, flottant dans ces mêmes lieux intimes où "les routes amoureuses croisent les routes familiales". Il part de Turin pour descendre vers le sud, longeant l’Adriatique puis la mer Ionienne jusqu’à Craco, village de ses aïeux, avant de rebrousser chemin vers Rome. La rêverie est sa compagne de voyage. Elle convoque les fantômes, superpose les images : l’amoureuse perdue, vue de dos, celle qui, dans Le fanfaron, préférait "l’exubérance de Vittorio Gassman" à "l’introversion de Trintignant" ; le grand-père Louis et son trajet de la Calabre à la Lombardie jusqu’aux Corbières dans le sud de la France.
C’est une traversée de ruines. Le récit tire sa force élégiaque, sa grâce tendue et mélancolique de ces décors désertés, maisons inhabitées, villas d’un autre siècle, pensions de bord de mer… Une nuit d’étreintes s’achève dans "la gêne du matin, lorsque la pudeur bâillonne la poitrine". La pellicule a été développée comme une carte postale aux couleurs passées, bleu pâle et vert céladon. Un sfumato mêle lieux et gens et fait ressortir par contraste le noir des forêts de châtaigniers des Pouilles, la pluie de Rimini, les feuilles de magnolia…
Dans un moment de contemplation, le voyageur "regrette de ne pas avoir d’enregistreur pour retenir cette vibration". L’écrivain, également auteur de la photographie reproduite sur le bandeau de couverture - un visage féminin, flou, qui se détourne -, n’en a pas besoin : il possède déjà des capteurs hautement sensibles.
Véronique Rossignol