Thomas a raté ses examens. Encore une fois. Une de trop. La fac pour lui c'est terminé, il rentre aux Verrières, dans cette région frontalière entre le Doubs français et le Jura suisse, chez les parents, « le daron et la daronne » à qui il n'ose annoncer son échec. C'est l'été, il trouve un job d'intérimaire à l'usine où le daron a trimé toute sa vie pour leur payer un toit et des études, à lui et à sa sœur Louise, inscrite en « socio » à Besançon. Chez Lacombe, où il travaille de nuit, Thomas retrouve Mehdi, un ami d'enfance qui vivote comme saisonnier en hiver dans le Valais et en période estivale ici, à l'usine nuitamment. Le jour, à peine récupéré de l'atelier, Mehdi enfourche sa moto et rejoint son père sur les parkings de supermarché où le vieux vend des poulets rôtis. Tout fils d'ouvrier qu'il est, Thomas est du genre frêle et a du mal à se remettre de la cadence de la ligne de production. Quand il ne dort pas, il végète. Autour de lui les jours tissent un cocon où la chrysalide peine à muer en papillon.
Pour Louise aussi c'est la fin des cours, plutôt un nouveau chapitre qui s'ouvre : sous l'égide du plus éminent professeur de son université, elle s'attèle à une thèse sur les travailleurs frontaliers, cette transhumance laborieuse qui ne s'enracine nulle part. Elle essuie également un échec, amoureux celui-là. Entre le jeune néo-rural intello, avec sa famille bourgeoise bien intentionnée, et elle, de milieu ouvrier, ça n'aurait pas pu marcher. La voilà rentrée au bercail, l'espace d'un été.
Ce sont ces quelques mois de soleil et d'ombre qu'étire avec une indicible grâce de plume Thomas Flahaut dans son deuxième roman. Né en 1991 à Montbéliard et vivant à Lausanne, il poursuit après Ostwald (L'Olivier, 2017) son exploration d'une culture ouvrière qui se survit au-delà de la fermeture des usines, à travers ces enfants d'anciens prolétaires qui trahissent les rêves de réussite de leurs parents. Le consumérisme a eu raison du matérialisme dialectique. Marx aux orties, les forfaitures successives et l'effondrement des idéologies ont accouché d'une génération flottant au gré des événements.
Thomas croit peut-être au communisme mais n'a pas la force de faire la révolution. Louise à travers son enquête, ne fait rien d'autre que constater. Mehdi veut s'en sortir sans trouver d'issue. Thomas Flahaut ne campe pas tant des personnages avec de franches couleurs qu'il les saisit en camaïeu, les esquisse par fines touches. Alors que Lacombe a été racheté par les Suisses et qu'on démantèle les dernières machines, que reste-t-il à part la fête, la tawa, une bacchanale techno dans la forêt ? L'alcool, les joints, l'amour sous la pluie... La soirée s'est évaporée au petit matin, et les lépidoptères ont déployé des ailes dont certaines sont frappées d'une tête de mort. « Et l'été est noir comme la nuit. »
Les nuits d'été
L’Olivier
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 18 euros ; 192 p.
ISBN: 9782823616026