"Il est difficile d’apprendre du passé." Pourtant il nous éclaire sur les événements présents. Pour Toine Heijmans, auteur néerlandais, prix Médicis étranger 2013 pour En mer, "la guerre est un orage qui peut éclater n’importe où, sans raison." Que ce soit sur un bateau, aux prises avec les éléments, ou sur une terre a priori paisible. Dans son premier roman, un homme luttait contre une tempête maritime et intime. Son second, Pristina, plonge dans le tourbillon d’une marée humaine, celle des réfugiés politiques.
Une thématique que ce journaliste, né en 1969, connaît bien. Diplômé d’histoire, il a publié un essai sur les demandeurs d’asile. "L’histoire ne se répète jamais exactement. Il y a des ressemblances entre le temps d’alors et le temps d’aujourd’hui." Alors que "les calmes Pays-Bas sont construits sur la tolérance", son pays baigne aujourd’hui dans une ambiance rance, teintée de méfiance et de populisme. Etrange résonance avec la situation en France.
Ce malaise persistant s’étend à l’ensemble de l’Europe et à ses anciens conflits, comme celui de l’ex-Yougoslavie, qui a causé un flux d’immigrés. Mandaté par les autorités de La Haye, Albert Drilling, le héros du livre, doit les traquer pour les rapatrier. Ce "fonctionnaire itinérant" se veut "Humain, Intègre, Objectif, Documenté, Efficace". C’est sans compter sur "une illégale" qui l’entraîne au nord des côtes hollandaises. "Ici, commençait son histoire : une île aux arbres nus qui déjà bourgeonnaient." Soit sa treizième destination, devenue sa terre d’adoption.
Albert est intrigué par cette femme caméléon, dont le père, "alchimiste des noms", lui a procuré de faux papiers. Or "personne ne vit sans laisser de trace", y compris dans le cœur des gens. "Le lieu d’où je viens est mon nom." Alias Irin Past, anagramme de Pristina, au Kosovo, "une ville blessée". Aussi s’est-elle réfugiée sur une île dénuée de plaies. "N’importe où se pose le regard, nous voyons la mer ; ça nous rend vulnérables. C’est pour ça que nous nous blottissons les uns contre les autres." Malgré son intégration, Irin reste pénalisée par son illégalité. Résidant à l’hôtel De Waarheid (La Vérité), Albert ne laisse rien passer.
"Il connaissait les visages, les espoirs et les vies des gens en errance." Pourquoi ne pas leur laisser une chance ? Irin le combat jusque dans ses allégeances. "Tout le monde est libre aux Pays-Bas, mais certains moins que d’autres. Qu’est-ce qui me rend inférieure ?" Un miroir que Toine Heijmans tend à chaque lecteur. Il est toujours question chez lui de solitude, d’aliénation et de survie. Ses mots de toute beauté sont portés par des personnages au bord du naufrage, aussi tendus qu’inattendus. A partir de quand un étranger devient-il une personne ? Question cruciale en ces temps mouvementés, que l’écrivain commente dans une note destinée à l’édition française. "Beaucoup de choses sont à la dérive, pas seulement des gens, mais aussi des valeurs humaines." A l’heure où l’Europe dresse des barrages pour fermer ses frontières, les étrangers suscitent "l’angoisse et la colère. Nous sommes tous des êtres humains, et rien de ce qui est humain ne nous est étranger."Kerenn Elkaïm