6 MARS - JOURNAL France

« Pierre nous réveille avec cette affreuse nouvelle que Maurice Hogenboom est mort à Rio, il y a quelques jours, il paraît qu'il est tombé d'une falaise en photographiant. Je n'ai rien pu faire de toute la journée - c'est assommant la mort - mais ce soir je m'efforce : il était grand, très beau, un peu indonésien, s'habillait admirablement d'oripeaux exotiques et avait les manières les plus douces, les plus affectueuses [...].Maurice avait été l'amant très épris de Talitha, ils se ressemblaient beaucoup, peut-être amis d'enfance, mais Talitha s'était enfermée dans la drogue et leur relation, disait-il, était un malentendu : "Elle me disait Shut the door et moi j'entendais Je t'adore." Et puis, un jour de l'été dernier, à Rome, Talitha ne s'est jamais réveillée. »

Debout les morts et retour aux heureux de ce monde. Là où tout est grave et rien ne pèse. Là où tout, absolument tout, n'est que poésie : les plaisirs et les jours, les fêtes, la poussière d'ange, le temps qui passe, hélas, et même la ronde sans cesse recommencée des mondanités. En ce temps-là (1971-1977), en ces lieux-ci (Paris beaucoup, à la folie, mais aussi Rome, Londres, Vienne...), un jeune homme trop beau s'en fit le greffier nonchalant. Il s'appelle Thadée Klossowski de Rola, fils de Balthus, neveu de Pierre, il n'est pas né de la dernière pluie. Dans la bande bruyante, odieuse et adorable, formée autour d'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, où il disperse joliment ses dons que l'on devine, il est « notre jeune homme », comme Barrès l'écrivait de Proust. Joli garçon offert au désir de tous, il rêve sa vie et finit par faire en sorte que celle-ci ressemble à son vague songe. La paresse lui est une ascèse.

Vie rêvée

C'est sous ce titre, presque ironique, que Thadée de Rola réunit les pages de son journal des années 1970 en un volume aussi inactuel que beau. Défilent au cours des mois une galerie de monstres fascinants, portant le cosmopolitisme en sautoir, où le génie n'est que l'autre face de la vanité. D'Andy Warhol à Orson Welles, des Noailles à Brando ou Christian Marquand, ce bottin mondain est une sonnerie aux morts. C'est comme si tous ceux-là (y compris ceux qui sont encore vivants et déjà oubliés) venaient tour à tour sur le devant de la scène saluer une dernière fois leur cher public. Nous nous sommes tant et trop aimés.

Et puis, et puis il y a un motif caché dans le tapis de ce livre choral, le plus doux des fantômes pour l'auteur. C'est une histoire d'amour. Celle qui va lier peu à peu en une solitude très peuplée Thadée avec la fantasque Loulou de la Falaise (disparue l'an dernier), quelque chose comme la grâce incarnée. Le livre s'achève en 1977 à Venise lorsqu'ils décident de se marier. Depuis, Thadée de Rola n'a peut-être pas cessé d'écrire ; il a commencé de vivre.

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