“Le temps du numérique est infini : posée sur une étagère virtuelle, l’œuvre ne saurait disparaître. Ses chances de résurrection, à la faveur d’une recommandation qui fait boule de neige, semblent considérables. Mais le temps du numérique est aussi celui de l’immédiateté, du « tout et tout de suite », le temps de l’oubli dans le grand vent de la multitude des écrits qui se bousculent sur le Net. Entre ces deux extrêmes, quelle doit être la durée du monopole octroyé à l’auteur et à ses ayants droit, et quelle doit être la durée du contrat de cession de ces droits ? Deux questions qui ne sont pas simples, même si les négociations récentes ont apporté des éléments de réponse.
De l’assiette, disons-le : quels que soient les futurs modèles économiques, basés sur l’achat à l’unité, l’abonnement, le pay per read, le bouquet, conjuguant toutes ces possibilités ou choisissant certaines seulement, le numérique porte avec lui de la destruction et du transfert de valeur. Destruction, parce que le consentement à payer de l’acheteur est souvent très faible, prenant en considération la surabondance de l’offre et l’absence de propriété du bien. Transfert, parce que de nouveaux entrants entendent se tailler une part du gâteau. A cela il y a deux réponses : chacun gagne moins, certes, mais dans un partage évolutif, ou bien l’on tente la mise à l’écart de certains maillons de la chaîne de valeur : le gâteau est plus petit, mais le nombre des invités se réduit.
Quant aux taux, appliqués à des sommes devenues dérisoires, ils mènent à des revenus parfois bien chiches. Les partages affichés sur les sites de pure players ou d’autoédition ne manquent pas de murmurer à l’oreille des auteurs…
Parlons-en d’ailleurs, de l’autoédition, phénomène de masse qui dit quelque chose de l’effet d’appel que constitue le numérique. Au-delà de la Pensée universelle de nos temps modernes, l’autoédition constitue un vivier dans lequel, au beau milieu du tout-venant, l’éditeur pourra trouver quelques perles. Il y a aussi l’autoédition de communautés de spécialistes ou de fans. Mais surtout, l’autoédition rappelle à tous à quel point le numérique, parce qu’il rebat les cartes d’un jeu dont les règles se réinventent, oblige à repenser la diffusion, le faire-savoir, le rapport auteur-éditeur. Paradoxalement, l’autoédition renvoie en creux à la fonction de l’éditeur, sommé de faire ses preuves auprès de ses auteurs comme des lecteurs, et chargé de désigner et de faire connaître la qualité que le monde de l’Internet peine à sélectionner.”