Sony, la Fnac, et Hachette Livre : un triumvirat de choc pour un lancement sous haute surveillance. L’invention d’un nouveau modèle, concurrent et complémentaire de l’ancien, méritait un partenariat fort. Nous l’avons. Mais le partenariat et les premières annonces ne vont pas sans questions. Premièrement, l’accord ne manque pas de troubler. Il ressemble à ce que les économistes désignent par des pratiques de verrouillage de la consommation. Si licites soient-elles, on considère qu’elles font plutôt fuir les consommateurs. Deuxièmement, une remarque s’impose au sujet du prix du matériel. 299 euros, c’est cher. Le détenteur d’un téléphone mobile et d’un ordinateur devra débourser une somme plutôt coquette pour son e-book. Bien sûr, ce n’est pas le même équipement, mais reconnaissons-le : l’addition est plutôt salée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas dans une logique de produit d’appel. Or l’aventure des magnétoscopes puis celle des lecteurs de DVD le montrent : pour vendre, et conquérir le marché, il faut plusieurs conditions : - la première est d’atteindre un nombre suffisant d’utilisateurs précoces pour convaincre d’autres utilisateurs de s’équiper à leur tour. En termes économiques, se produisent alors des externalités de consommation, l’engouement des premiers acheteurs suscitant celui des autres. L’industriel a intérêt à subventionner plutôt qu’à pénaliser ces utilisateurs précoces. Ils constituent en effet ce qu’on désigne par la base installée, qui doit être de taille suffisante pour donner naissance à des externalités. - La deuxième condition est que le futur « gagnant » du marché doit proposer une offre de titres assez attractive pour que l’acheteur de l’équipement pense amortir sa dépense en matériel. On nous annonce 2000 titres en version « e-book ». Et Gallimard en annonce 8000 dans ce que l’on pourrait appeler sa contre-offre. Débuts prometteurs. Mais il faudra faire vite. Troisièmement, l’accord qui lie la Fnac et Hachette prévoit que le prix de vente public des livres numériques, devrait se situer entre 10 et 15% au-dessous du prix de leur édition papier. Une ristourne aussi faible alors que les coûts de distribution et de fabrication disparaissent en presque totalité ? Il y a quelques années, l’économiste Robert Solow se demandait où avaient disparu les gains de productivité qui résultaient de l’intrusion de l’informatique dans les processus productifs. Autres temps, même question. Ajoutons enfin que nombre d’autres questions sont encore à travailler. On le sait, dans le secteur musical, l’absence de réponse à l’exigence d’interopérabilité aura constitué une incitation au piratage ; que fait-on à ce sujet ? Sur ce point il semble que l’offre de Gallimard fasse un (petit) pas : elle devrait être lisible sur le Cybook ainsi que sur d’autres lecteurs, dont le Reader de Sony. Et sur mon ordinateur ? suis-je tentée de demander. Autre interrogation : l’achat à l’unité n’est-il pas l’achat dominant du monde réel, le numérique se prêtant à d’autres pratiques (abonnements, offre de services adjacents, etc.) ? Bref, nous ne sommes sans doute qu’au tout début de l’invention d’un nouveau modèle.