« Que faire ? » C’est sur cette question chère à Lénine que s’ouvre le court roman que Raphaël Meltz publie ; sur cette question née du triste constat que Paris ne vit plus, et que le monde va mal. Du coup, l’auteur-narrateur-personnage de ce roman décide, à l’instar du rêve inassouvi de Balzac, de réunir une nouvelle conjuration, comme les « Treize » en leur temps. Treize personnages, donc, dont un mort et l’auteur, qui se donnent rendez-vous à autant de points de l’agglomération parisienne (élargie jusqu’à Orléans), et élaborent ensemble différentes stratégies pour changer le monde. Treize chapitres, par conséquent, où l’on entend parler de grande distribution et d’aérotrain, de radiotransmission en temps de guerre et de Star Academy, au gré des pérégrinations et centres d’intérêt de chacun des conjurés, baptisés Fréhel, Kevin Bourdieu ou encore Emilio Rabelais. Et chacun, après cette rapide visite, propose à ses comparses de devenir complices d’une grande attaque : panique nucléaire, sabotage de réseau RATP, krach boursier informatique mondial ou reconquête de la ville par la végétation…
On l’a compris : l’auteur s’amuse bien. Après ses deux volumes de Suburbs, parus aux éditions du Tigre en 2012 et en 2013 et consacrés chacun à un endroit précis, il élargit le champ et réussit à parler dans ces 240 pages d’amour, de deuil, d’adolescence, de révolte - et surtout de littérature. Car le livre s’écrit en même temps que l’intrigue, et la met en débat : picaresque ? vraisemblable ? fictive ? autofictive ? Le parcours haletant des Treize est l’occasion de jouer avec les codes, les savoirs et les mots, parfois jusqu’à épuisement. Comme en lisant certaines descriptions de Balzac mais aussi certains dialogues de Tristram Shandy, on a l’envie que M. Meltz lâche Wikipédia et en vienne au fait. Mais tout le paradoxe est que le fait y est, presque à chaque ligne : constat drolatique d’un monde pourri, assorti de la sensation étrange qu’il serait si facile, au fond, de le faire sauter… « Il faut que je sorte du noir. Que j’ouvre cette porte […] sur la révolution qui ne viendra jamais mais nous en rêverons toujours », déclare finalement l’auteur. Et c’est vrai qu’il n’y a pas mieux qu’un roman pour ouvrir ces portes-là.
Fanny Taillandier