Les observateurs de tous ordres ne manqueront pas de commenter les entrées des deux remake de la Guerre des boutons , sans parler de la énième ressortie du film d’Yves Robert. Reste un autre calcul, autrement plus nébuleux, inspiré par l’avalanche de parutions en poche du roman de Louis Pergaud : quand commence le domaine public ? Rappel des faits : Pergaud est mort le 8 avril 1915, son livre ayant été publié de son vivant. À l’origine, il bénéficie donc de la durée de protection de principe prévue par la loi avant ses modifications ultérieures : «  Au décès de l'auteur, le droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours  » et les 50 années qui suivent. Cela nous conduit pour «  l’année civile en cours » au 1 er janvier 1916, auxquels j’ajoute les cinquante ans ; ce qui nous donne 1 er janvier 1966. Pergaud — à l’instar d’Alain Fournier, Apollinaire ou Ernest Psichari, auteur du bien oublié Voyage du centurion —   est mort pour la France, ce qui implique qu'il peut bénéficier d'une protection de 30 ans supplémentaires. Et nous voilà un troisième lendemain de réveillon, au 1 er janvier 1996. Mais La Guerre des boutons a été publiée  avant la fin de la « Grande Guerre ». Cette oeuvre peut donc bénéficier des deux prorogations de guerre prévues également dans la loi : 6 ans et 152 jours pour les œuvres encore sous droit qui ont traversé la première Guerre mondiale, ainsi que 8 ans et 119 jours pour la Seconde Guerre Mondiale. Je passe sur la notion de guerre (celle d’Algérie n’en est pas une…) ; le statut de mort pour la France (mieux vaut finir en uniforme français dans un avion de chasse que déporté, puisque c’est le Conseil d’Etat qui tranche…) ; la durée des conflits (résultat d’un compromis entre diverses dates pour déterminer une période de baisse des ventes des biens culturels à compenser avec du rab !), etc. L’ouvrage de Louis Pergaud cumule donc un bout d’année civile + 50 ans, + 30 ans + 6 ans et 152 jours + 8 ans et 119 jours. Ce qui nous fait une durée totale de 94 ans et 272 jours.  Depuis 1993, la durée légale de prorogation du droit d’auteur est de 70 ans après la mort de celui-ci (durée harmonisée dans toute l’Union Européenne). En l’espèce, cependant (et je vous passe les détails, ainsi que le pourquoi du comment), Pergaud ne bénéficie pas d’une durée qui serait de 70 ans + 30 ans + etc. On demeure, dans ce cas précis, sous l’ancien système. Va donc pour les 94 ans et 272 jours. Ce qui, au bout du compte, nous amène au 30 septembre 2011. D’abord annoncés pour octobre, les deux films, concurrence forcenée oblige, vont donc sortir avec huit à quinze jours d’avance sur le délai légal (cela s’appelle de la contrefaçon, sauf autorisation exceptionnelle obtenue de la succession Pergaud pour quelques jours…), de même que la plupart des nouvelles éditions. Et ce n’est pas le seul problème juridique, puisque les répliques les plus fameuses de la version d’Yves Robert ne figurent pas chez Pergaud et sont donc encore protégées. Attendons donc de voir si la guerre des guerres passera des mathématiques au tribunal, avant de nous livrer à une nouvelle leçon d’arithmétique littéraro-légale (œuvres anonymes, sous pseudonymes, collectives, posthumes, perpétuité du droit moral etc.). La rentrée est déjà assez compliquée comme ça.
15.10 2013

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