Journal du confinement

Pascal Didier : « Comment sortir de cette dystopie ? »

Le représentant Pascal Didier confiné chez lui. - Photo Pascal Didier

Pascal Didier : « Comment sortir de cette dystopie ? »

Quatrième épisode du « Journal du confinement » de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd’hui : Pascal Didier, représentant chez Volumen Interforum, qui sillonne habituellement les routes pour représenter une trentaine d'éditeurs.

Par Mathieu Deslandes
Créé le 21.03.2020 à 12h01

« Ce vendredi matin, je ne suis pas sorti pour acheter Le Monde des livres. C’est pourtant un exercice presqu’habituel quand on travaille comme représentant d’éditeurs et qu’une de nos règles professionnelles est de se tenir informé des livres dont on parle et qui font la vitrine de ces librairies qu’on visite tout au long de l’année.

Scène de crime

Oui mais voilà, depuis samedi soir, plus rien ne fonctionne normalement, le pays soudain s’est figé et pour beaucoup d’entre nous, depuis ce mardi midi, l’ordre est au confinement. L’épidémie de Covid-19 qui traverse - et peut-être transperce - la planète toute entière nous impose à tous ce qui ressemble au gel d’une scène de crime, comme dans ces romans policiers que nous aimons lire.

Nos librairies sont fermées, les offices de nouveautés suspendus, le travail des éditeurs et le nôtre aussi interrompus et c’est tout un monde qui retient son souffle, s’organise, tisse déjà des solidarités, s’interroge sur ce qu’il traverse – et selon l’endroit où l’on se trouve dans cette chaîne du livre – sur ce qui pourrait peut-être s’écrire de tout ça et sur ce qu’il faudra imaginer pour repartir et sûrement reconstruire.

Depuis lundi, ma voiture est restée à sa place de stationnement et j’ai passé les premières heures de cette semaine particulière à annuler mes réservations d’hôtels pour les jours à venir.

Les autoroutes du Grand Est

Me voilà privé de ces longues semaines sur les routes, à sillonner les nationales et les autoroutes du Grand Est – une des régions les plus touchées par cette crise sanitaire – et à retrouver mes libraires pour leur parler des nouveautés à paraître et travailler avec eux les quantités qu’ils veulent recevoir.

Confiné, me voilà condamné au télétravail et ça s’organise comme ça peut. A commencer par des heures de visioconférence avec mon directeur des ventes et mes collègues, à se demander quoi faire, à imaginer des choses qui n’auront plus d’intérêt le jour d’après et à se parler simplement pour ne pas se retrouver tout seul avec ses inquiétudes, ses questionnements et les interrogations de nos clients.

Ces dernières heures, j’ai écrit à tous mes libraires, simplement, déjà, pour prendre de leurs nouvelles, de leur santé quand ils sont par exemple comme ceux de Mulhouse dans des zones particulièrement éprouvées, ou échanger avec plusieurs au téléphone ; et il faut faire la même chose avec l’autre partie de ma clientèle, la trentaine de maisons d’édition pour lesquelles je travaille.

Palettes dans les entrepôts

Car que vont devenir tous ces livres sortis depuis à peine quelques semaines ou quelques jours, ceux encore enfermés dans des cartons pas réceptionnés, empilés sur des palettes dans les entrepôts d’Interforum ou chez les imprimeurs ?

Que vont devenir tous ces textes qui n’étaient encore que des tapuscrits ou des jeux d’épreuves sur nos bureaux d’éditeurs ou de représentants, ou parfois encore, simplement que des numéros d’ISBN et une ligne sur un bon de commande ?

Via les réseaux sociaux, découvrir que la chaîne du livre a trouvé ici un champ – à défaut de pouvoir ouvrir boutique, discuter autour d’un verre ou se retrouver dans un festival littéraire – pour partager son confinement, vivre ce présent anxiogène et imaginer ce que demain pourrait être. J’observe les auteurs, éditeurs, libraires et lecteurs – en tout cas celles et ceux avec qui je suis ici relié et que je suis (comme on dit) – s’organiser, échanger, écrire, transmettre leurs lectures et se parler.

Indispensable bibliodiversité

Nous aurons tous retenu que le Président Macron avait incité à la lecture dans les possibles activités de confinement. Nous avons acté que le livre n’était pourtant pas considéré comme un achat de première nécessité, bien que nous étions tous bien convaincus du contraire puisque nous en faisions tous, d’une manière ou d’une autre, l’objet de notre métier et souvent de notre vie.

Nous prenons plus encore conscience de cette nécessité de protéger, de redonner du sens et de revivifier cette indispensable bibliodiversité qui risque de beaucoup souffrir – comme tant d’autres pans économiques ou culturels de notre pays – durant toutes ces interminables journées (semaines ?) de crise.

Se relaver les mains pour la 25e fois

Dans ce quotidien bousculé, à quoi peut bien ressembler la vie d’un représentant ? A rien d’ordinaire, sinon le plaisir de lire et d’en parler encore.

Pour le reste, mes heures de confinement ressemblent sûrement à celles de bien d’autres. Des journées à jongler entre mille activités car même si le monde vit au ralenti et dans la crainte, tout ne s’arrête pas complètement et il faut bien travailler – ou plus exactement télétravailler – ranger son bureau, prendre l’air quelques minutes, jardiner entre deux chapitres d’un roman à terminer, sortir pour trouver des fruits et des rasoirs, de la viande et du café, des légumes et du papier toilette, commencer la lecture d’un autre livre, ouvrir un journal, répondre au courrier d’un libraire, se relaver les mains pour la 25e fois de la journée, changer la litière de son chat ou prendre des nouvelles des gens qu’on aime.

La vie, dans ce qu’elle a de plus banal, parfois de plus sordide, mais aussi de plus imprévisible, ou simplement de plus extraordinaire, cette putain de vie qui explose là, à chaque seconde, sous nos yeux ou sous nos gueules. Ecrire pour respirer une sorte de "journal de confinement" sur son mur Facebook. Se demander in fine comment sortir de cette dystopie dont nous sommes tous de bien involontaires personnages. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à : confinement@livreshebdo.fr

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