Retour à la vie. Adam Haslett. C'est un nom qui s'échange depuis vingt ans entre initiés, entre happy few. Depuis la publication en France de Vous n'êtes pas seul ici (L'Olivier, 2005), un somptueux recueil de nouvelles, et après celle de deux romans, L'intrusion et Imagine que je sois parti (Gallimard, 2010 et 2017), Haslett représente ce que la fiction américaine contemporaine a de meilleur, de plus sensible et de plus gracieux, loin des tours de force et d'esbroufe dont elle est trop souvent coutumière. Et la parution ce printemps, cette fois-ci à l'enseigne des éditions Christian Bourgois, de De mères en fils en fournit à nouveau une éclatante confirmation.
Peter, 40 ans, est un avocat new-yorkais spécialisé dans le droit d'asile. Il est extrêmement seul et ne semble pas vraiment le réaliser ou du moins en souffrir. Ses journées, et même le plus clair de ses soirées, sont entièrement dédiées à son travail, hormis des rapports furtifs avec un amant de passage. Ses clients, des migrants craignant d'être reconduits manu militari dans leur pays d'origine, placent leur dernier espoir entre ses mains. À leur misère, Peter oppose un visage qui pourrait presque paraître indifférent. Mais bientôt, un cas parmi eux, celui de Vasel, jeune homosexuel albanais, va briser peu à peu cette carapace. Et Peter va devoir affronter ses propres démons, ceux de son histoire, notamment familiale : la mort de son père, le départ de sa mère Ann, qui dirige un centre de retraites spirituelles pour femmes dans les collines du Vermont et qu'il n'a pas vue depuis de trop nombreuses années, et, plus sourdement et douloureusement, le souvenir de Jared, son premier amour. Peter va faire, enfin, un détour par la vie.
Ce qu'il y a de plus remarquable dans l'art du roman à la fois si classique et si subtil d'Adam Haslett, c'est la manière dont il sait prendre son temps sans que jamais ne puisse lui être fait le reproche de tirer à la ligne. Chez lui, prendre son temps, c'est un style et une morale ; c'est permettre de laisser pleinement exister ses personnages, d'exposer leurs contradictions, leur chagrin, leur solitude. Le monde est là, l'intime et l'universel, l'un et l'autre se répondent. C'est Tolstoï et c'est Tchekhov. Leur dialogue est fascinant.
De mères en fils
Christian Bourgois
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Étienne Gomez
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 24 € ; 416 p.
ISBN: 9782267054194