Livres Hebdo - Les statistiques douanières montrent en 2013 un tassement du livre français à l’export. Dressez-vous le même bilan ?
Patrick C. Dubs - L’année 2013 s’est mieux tenue que 2012 où nous avions constaté une légère contraction de nos ventes, inédite depuis la création en 2002 d’Hachette Livre International (HLI) : nous avons enregistré une progression de quelques millions d’euros. Ce résultat est le fruit d’un maillage du terrain très fort et de l’étendue de nos fonds. Notre capacité à couvrir aussi bien la littérature, le pratique, la BD ou le scolaire nous permet de limiter les contrecoups, et, par exemple, de faire le gros dos en scolaire en attendant de nouvelles réformes.
Sur ce dernier secteur, les éditeurs français ont toutefois remporté de gros appels d’offres, notamment en Afrique francophone. Comment vous situez-vous sur ce pan du marché ?
P. C. D - Nos positions restent relativement stables en raison notamment de notre production dense et adaptée à l’offre, et de notre connaissance pointue de ces marchés et de leurs procédures. Toutefois, le niveau d’aléa y est très élevé puisque la reconduction automatique n’existe pas. Il n’y a donc pas de pérennité envisageable. En outre, les bailleurs internationaux, comme la Banque mondiale, qui financent ces marchés, prêtent des fonds en fonction de la vertu des Etats. Nous n’avons donc aucune possibilité de prévisions ni d’assurance sur la durée des programmes.
Gwenaël Luherne - A cela, il faut ajouter la présence accrue de petits éditeurs locaux, dont le niveau d’expertise grimpe, et qui viennent nous chatouiller les mollets. Toutefois, nous nous efforçons de rester au plus près de ces marchés en termes de créativité et d’écriture en travaillant avec des auteurs locaux.
Dès lors, où se situent vos potentiels de développement ?
P. C. D. - Notre département Français langue étrangère (FLE) nous assure de belles performances dans les pays non francophones. Toutefois, l’essentiel de notre chiffre se réalise dans la francophonie développée, où le français est langue de partage. Dans cette zone, nous entendons conserver nos parts de marché en Afrique, qui se tient toujours bien. Le plus fort potentiel se trouve, pour nous, au Maghreb, en Algérie et au Maroc essentiellement, où il existe une vraie dynamique, porté, notamment au Maroc, par un programme soutenu d’implantations de chaînes, comme la Fnac, et de librairies. Nous y espérons une croissance à deux chiffres.
A l’inverse, quelles sont les zones qui souffrent ?
P. C. D. - Notre premier client, la Réunion, subit le contrecoup des difficultés du réseau Prestalis, notre principal diffuseur de livres qui a engagé un mouvement très net de rationalisation des achats. Au Proche et Moyen-Orient, le Liban accuse aussi un ralentissement. La population à fort pouvoir d’achat a disparu du paysage et un million de réfugiés syriens fragilisent l’économie du pays.
G. L. - On note aussi plus globalement que le poids du livre en anglais s’accentue, au détriment du français, et un certain nombre de points de vente se trouvent fragilisés au profit des plus gros.
Y voyez-vous également l’impact de la vente en ligne ?
G. L. - Son effet sur les ventes reste difficile à mesurer, mais il semble que nous limitions la casse. Par contre, cette concurrence oblige les libraires à réfléchir sur leur mode de commercialisation, une réflexion que nous accompagnons grâce à notre force de vente sur le terrain, qui s’apparente à une équipe d’ingénieurs commerciaux, capables de proposer des stratégies de merchandising ou de communication aux libraires.
Plus globalement, comment estimez-vous l’état du réseau à l’export ?
P. C. D. - La fragilisation des librairies est évidente. A la crise financière et économique s’ajoute une décorrélation entre le nombre d’apprenants en français, qui reste stable, et le nombre de lecteurs en français, qui s’érode. Si on y ajoute le phénomène de best-sellerisation des marchés, on comprend mieux l’augmentation du nombre de défauts de paiement que nous avons enregistrée en 2013. Cela conduit à une raréfaction des points de vente, qui est très préoccupante. Or, que faisons-nous, éditeurs et pouvoirs publics, pour pallier ces difficultés ? Je regrette vraiment qu’il n’existe, aujourd’hui, aucun débat dans l’interprofession sur ce sujet, contrairement à l’Angleterre, où les différents acteurs réfléchissent et mènent des actions collectives. <
Propos recueillis par Cécile Charonnat