Albert Thibaudet, c’est un critique littéraire comme il ne s’en fait plus guère. Préférant parler des écrivains du passé que de ses contemporains – sans pour autant négliger tout à fait ceux-ci. Attaché à une conception de la littérature où le critique, précisément, a sa place : au dix-neuvième siècle, Sainte-Beuve est à ses yeux l’égal de Hugo et de Balzac. Je le soupçonne d’avoir établi ce podium avec l’espoir d’occuper une marche sur celui du vingtième siècle. Il n’est pas interdit d’avoir quelques vanités… Quoique, si l’on y pense, le travail du critique est quand même très éloigné de celui du créateur. (Je parle en connaissance de cause.) Toujours est-il que son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours , publiée l’année même de sa mort en 1936 (et donc, je le note au passage, dans le domaine public depuis un an), est le livre d’un amoureux des livres. Le parcours de quelqu’un qui connaît ce dont il parle et n’hésite pas à émettre des opinions. On est en droit de ne pas le suivre dans tous ses choix, on ne peut pas lui dénier une profonde sincérité. Cette Histoire est un ouvrage passionnant, qui donne envie de revisiter bien des œuvres. Signées de noms appartenant toujours à notre quotidien, ou d’autres oubliés – au cas où il y aurait à sortir quelqu’un du purgatoire. Comment dit-on, déjà ? Ah ! oui : respect ! Le CNRS, qui réédite ce fort volume, manque pourtant de respect au texte. D’abord en « oubliant » la fin du titre original, pourtant complet en couverture de l’édition de 1936. Il devient maintenant, tout simplement, Histoire de la littérature française – sauf dans l’avant-propos de Michel Leymarie, bien sûr. Même la réédition de Marabout datée de 1981, à une époque où la vocation encyclopédique de cette maison déclinait (et où, si mes souvenirs sont bons, Olivier Cohen s’occupait de ce qu’il en restait), n’avait pas osé. Se contentant d’une sorte de paraphrase : Histoire de la littérature française de Chateaubriand à Valéry . Par ailleurs, j’espérais que les pages du volume ne me restent pas entre les mains au fur et à mesure que je les tournais. Malheureusement, c’est arrivé très souvent. Ennuyeux, pour un livre de référence, même daté. Et puis, surtout, le respect du texte aurait exigé la présence d’un vrai correcteur. Je devine ce qui s’est passé. Le Centre national de la recherche scientifique, puisque c’est son nom, en l’occurrence bien mal porté, a procédé à la numérisation d’un exemplaire de 1936 (du moins, je l’espère – si c’est un exemplaire de 1981, c’est une faute de plus). Puis un logiciel de reconnaissance de caractères est passé par là, et probablement le fichier texte a-t-il été relu, mais très superficiellement. A plusieurs reprises, des « C » ont été pris pour des « G », il manque des points en fin de phrase, on trouve d’autres coquilles, aussi, trop nombreuses et typiques de ce genre de travail mal fini. Respect, disais-je ? Enfin, avec les outils informatiques à la disposition des éditeurs aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi un index des noms et des œuvres n’a pas été créé. Il aurait rendu de grands services – au moins jusqu’à ce que la reliure lâche tout à fait. Dommage. J’aurais aimé saluer cette réédition avec plus d’enthousiasme. Albert Thibaudet. Histoire de la littérature française [sic]. CNRS Editions, 592 pages, 10 €.