Avant-critique Roman

Deborah Levy, "Bleu d'août" (Éditions du sous-sol)

Deborah Levy - Photo © Sheila Burnett

Deborah Levy, "Bleu d'août" (Éditions du sous-sol)

Sur les traces d'une pianiste prodige en rupture d'identité, Deborah Levy offre avec Bleu d'août un grand roman de l'indécision de soi et du monde.

Parution 3 avril

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Par Olivier Mony
Créé le 08.04.2025 à 09h00

La femme et son double. Depuis la publication en France de sa trilogie autobiographique et sous influence barthésienne Ce que je ne veux pas savoir, Le coût de la vie et État des lieux (Éditions du Sous-sol, 2020 et 2021, prix Femina étranger pour les deux premiers), depuis que ces livres magnifiques ont en quelque sorte documenté chez ses lecteurs et surtout ses lectrices une certaine idée d'une nécessaire repossession de soi, il est trop souvent ignoré que, parmi l'étendue de ses dons littéraires − essayiste donc, mais aussi dramaturge ou poète −, Deborah Levy est aussi et peut-être d'abord romancière. Avec Bleu d'août, initialement paru au Royaume-Uni voici deux ans, elle en amène une preuve absolument éclatante.

Entre ici donc, dans la lumière comme dans l'ombre, Elsa M. Anderson. Cette jeune femme, 34 ans, est une pianiste prodige qui vient de tout perdre quand, dans une salle de concert viennoise, elle s'est brutalement interrompue dans son interprétation du Concerto n°2 de Rachmaninov. Soudain plus de musique, soudain la nuit. Pour oublier ce moment d'égarement qui menace d'être bien plus qu'un moment, la voici à Athènes. Là, sur un marché aux puces, elle découvre, fascinée, deux petits chevaux mécaniques qui dansent. Mais au moment où elle veut en faire l'achat, elle est devancée par une femme, qui lui apparaît comme étrangement familière et dont elle se persuade qu'elle est... son double. Tout au long des semaines et des mois qui suivront, à Londres puis à Paris, elle recroisera la route de cette femme et cherchera à récupérer ces petits chevaux et, ainsi, d'une certaine manière, son identité dérobée. Elsa va tutoyer les ombres de la folie et celles de son passé. Et plus rien ne sera comme avant. Il faudrait avant tout dire quelque chose de l'extrême élégance de Deborah Levy qui parvient à dissoudre la mélancolie fondatrice de son propos, l'errance quasi métaphysique de son héroïne, son immense solitude, fût-elle voyageuse, dans la comédie. Et dans le mystère, qui chez elle est plus qu'un dispositif littéraire, et a quelque chose de discrètement désespéré qui irait plutôt piocher du côté de chez Henry James. Et, surtout, dans les hauts-fonds et les lumières trompeuses du roman lorsque, comme ici, il substitue au réel le désir secret de son lecteur.

Deborah Levy
Bleu d'août
Éditions du sous-sol
Traduit de l'anglais par Céline Leroy
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 21,50 € ; 205 p
ISBN: 9782364689893

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