« Oh, t’as vu ? La rousse, c’est elle qui a eu le prix Femina . » On ne peut pas en vouloir à cette bourgeoise briviste si elle confond Nancy Huston avec Madeleine Chapsal. Béret enfoncé jusqu’aux oreilles, elle arpente le marché aux foies gras et aux magrets à la recherche de « bons produits ». Mais elle n’a pas reçu le Femina, elle en a été exclue. Foire aux vanités à Paris, Foire aux spécialités gastronomique (et aux livres) à Brive. Mieux vaut en rire. Rien n’a changé, les Parisiens « descendus » en Corrèze pour l’une des plus importantes manifestations littéraires en France sèchent les nourritures de l’esprit pour les nourritures terrestres le samedi matin. On s’arrache figues au foie gras et trompettes de la mort (et non celles de la renommée, pauvre Brassens) entre écrivains académiques et critiques littéraires estampillés 6 e arrondissement. François de Closets, M. « Toujours plus », rapporte à la Truffe noire, ses emplettes. « Mais pas de foie gras, ma femme l’achète à Paris. » Le frigo du restaurant englouti les achats de l’essayiste, au milieu de plein de foies gras à cuire à Paris. Françoise Xenakis que chacun reconnaît quand elle a retrouvé ses lunettes à monture rouge annonce fièrement : « Je pars acheter des charentaises ». C’est d’un chic ! 25 e Foire du livre de Brive, l’édition prend un lustre singulier. Personne ne reconnaît cet homme à la barbe de Victor Hugo, simplement Michel Butor, mais tous frétillent en se poussant du coude, certains s’extasiant devant les lunettes Top Gun de Doc Gyneco (si, si, il a signé un livre) d’autres en jetant un œil discret sur la frimousse de Christine Angot peu habituée de ces ripailles. Le futur ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy ne parle pas, sauf à son téléphone portable en dédicaçant ses livres. Quant à Angot, tout le monde l’évite de peur de se retrouver dans son prochain livre ou de se faire engueuler. Les journalistes littéraires ne sont pas téméraires mais plutôt pipelettes, voir pipolettes. Car la grande question qui a agité le petit monde des lettres (qui chuchote à l’apéritif, sous-entend au foie gras, répète pendant le magret et hurle à la vieille prune) est : est-il vrai que dans la nuit de vendredi à samedi, Angot et le Doc ont dansé, collé-serré, un slow chaud comme la braise, au Cardinal la boîte briviste des troisièmes mi-temps ? La reine Christine va-t-elle rejoindre le comité de soutien de Sarko, le Doc va-t-il se rendre enfin compte qu’on ne joue plus au docteur après l’âge de raison (7 ans) et mettre enfin Proust en rap ? Les supputations font rage. Il y eut d’abord l’Ecole de Brive, puis les réunions des Goncourt, le chemin buissonniers des Académiciens, Brive est passé cette année aux people. Cela ne va pas sans couacs. Le Monde a méchamment fait observer que le Prix de la langue française attribué à Christiane Singer en l’absence de l’auteure mais aussi de l’ensemble du jury (exception faite de Jean Favier). Marie-Françoise Leclère du Point , sponsor de la Foire, n’appréciait guère que deux des invités à son grand débat soient absents et qu’on lui rajoute à la dernière minute Sorj Chalandon, prix Medicis ( Une promesse , Grasset). « Je n’ai rien contre lui, mais je n’ai pas lu son livre. Pour un débat, c’est la moindre des choses. » Comme se félicite un des organisateurs : « Rappelez-vous que c’est une foire pas un salon… » On ne saurait mieux dire : le même m’avait demandé de faire découvrir au public de cette édition du quart de siècle de jeunes auteurs. Après l’avoir beaucoup poursuivi au portable j’ai appris le lieu de ce débat une heure avant qu’il se tienne. Le suivant, samedi, avec Max Monnehay (prix du premier roman pour Corpus Christine ) s’est déroulé devant cinq personnes, attachée de presse comprise, dans un bruit rendant le débat inaudible. Alain Mabanckou, tremblant dans l’attente du lundi où allait lui être attribué le prix Renaudot ( Mémoires d’un porc épic , Seuil), et Leonora Miano sont arrivés devant une salle vide alors que leurs lecteurs se pressaient devant leur stand. Il est vrai que les noms de ces jeunes auteurs ne figuraient pas dans le programme de la Foire, pas plus que le lieu et l’heure de leurs interventions ! J’ai donc décidé d’annuler ces simulacres de débats (et raté ainsi Stéphane Audeguy). Je ne suis pas sûr que ces auteurs prometteurs seront là pour la 50 e Foire du livre de Brive si elle a lieu un jour. Avantage de cette déconfiture : j’ai pu ainsi assister au match de rugby entre Brive et Narbonne. La peur au ventre, le CAB l’a emporté de justesse évitant peut-être ainsi la relégation en deuxième division. Mais surtout au lieu de débattre dans le vide j’ai rencontré le héros de mon adolescence : André Boniface. A 72 ans, il en fait 30 de moins. Grand, très grand, droit, très droit, sans une once de graisse, il chante le rugby avec une élégance que ce sport a un peu perdu. J’avais vu, il y a quelques années, un formidable documentaire sur les « Boni », André et son frère Guy, ce frère mort trop tôt dans un accident de voiture. Sur ce thème il vient d’écrire Nous étions si heureux… (Table ronde) qu’il m’a dédicacé. Dans le train du retour j’ai tout oublié, les intellos au marché, les pipoles en boîte et l’incompétence des organisateurs. J’ai lu un livre bouleversant, rencontré un homme magnifique et l’amour fraternel. Que vous aimiez le rugby ou que vous ignoriez ses règles, peu importe : jetez-vous sur ce livre, un livre comme je n’en ai pas lu depuis bien longtemps. Dès le premier chapitre vous serez saisi à la gorge. Il raconte comment la nuit de la mort de son « petit frère » il a rejoint sa dépouille à l’hôpital pour s’allonger toute la nuit à côté de lui. « Je repensais aux milliers de nuits que nous avions partagées. A Montfort, à Mont-de-Marsan, en déplacement avec le Stade Montois ou l’équipe de France. C’était toujours Guy qui s’endormait le premier. »

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