Blog

La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler, le 2 octobre 2013, quelques fondamentaux de la « contrefaçon littéraire ».

En l’occurrence, l’auteur d’un roman intitulé L’Héritage d’un lobotomisé soutenait que le feuilleton télévisé Plus belle la vie avait puisé dans ses pages le thème, l’intrigue et les personnages principaux. Or, l’auteur supposément contrefait ne rapportait pas la preuve que de ce que le producteur et le diffuseur de la série aient pu avoir connaissance du roman dont il est l’auteur avant l’écriture du scenario et le tournage des épisodes prétendument contrefaisants, ni mêlé avant leur diffusion. Mais les juges ont souligné que « c’est au contrefacteur prétendu qu’il incombe de prouver qu’il n’a pas pu accéder à l’œuvre ». Elle a donc renvoyé les parties à débattre de l’éventualité d’une contrefaçon devant la Cour d’appel de Lyon.

Les juristes spécialisés s’accordent à dire qu’une œuvre littéraire est formée de trois éléments: l’idée, la composition et l’expression. L’idée seule n’étant pas protégeable par le droit d’auteur, la contrefaçon littéraire ne peut porter que sur la composition ou sur l’expression, ou sur les deux à la fois.

La composition désigne l’essence, la trame, l’« histoire » en quelque sorte, et l’ensemble des éléments qui la forment : péripéties, enchaînement des événements, scènes, caractéristiques des personnages, etc.

Pour déterminer s’il y a ou non contrefaçon de la composition d’une œuvre, il convient de découper le scénario du livre en un nombre de scènes clés et de comparer. L’affaire Autant en emporte le vent qui a opposé Régine Deforges aux héritiers et à l’éditeur de Margaret Mitchell fournit un assez bon exemple de cette méthode, fréquemment employée en justice. Les diverses juridictions qui sont intervenues dans cette affaire ont analysé notamment les caractères des personnages, la toile de fond, le contexte, les situations et les scènes des deux romans. La cour d’appel de Versailles, à la fin de 1993, a estimé en dernier lieu que l’ensemble des éléments du roman de Régine Deforges était imposé par le contexte librement choisi de la Seconde Guerre mondiale. Quant à certains éléments communs, les juges les ont considérés tout au plus comme des idées de libre parcours, par conséquent non appropriables et ne pouvant être revendiquées par les héritiers Mitchell.

Les tribunaux doivent donc faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi. On ne peut par exemple interdire à un romancier situant l’action de son livre en Afrique du Nord d’y incorporer une scène dans un souk.
De même existe-t-il des exceptions dues au fonds commun de la littérature, des éléments devenus si banals qu’ils ne peuvent plus présenter d’originalité que dans leur expression. Ainsi, dès le début du xxe siècle, un tribunal a justement rappelé que Courteline ne pouvait s’approprier le thème du mari qui fait preuve de faiblesse vis-à-vis de sa femme adultère. C’est un processus semblable à celui qui frappe, par exemple, les livres historiques dont l’auteur a décidé de suivre, le plus simplement qui soit, un plan chronologique. Un guide de la chasse en France a, en revanche, été considéré comme contrefait par un article qui reprenait, selon le même ordonnancement, les « différents types de chasse à la journée sur l’ensemble des territoires français ».

Les adaptations de quelque sorte que ce soit (d’un livre en un film ou un autre type d’œuvre ou, inversement, d’une pièce en un roman) sont bien évidemment susceptibles d’être poursuivies pour contrefaçon. La publication en bande dessinée et en cassette audio, sans autorisation, d’un roman d’Agatha Christie en constitue, par exemple, une contrefaçon.

Quant à l’expression, seconde cible possible d’une contrefaçon littéraire, il s’agit tout simplement du choix des mots, de la façon d’écrire…
Il est bien évident qu’il convient de faire là aussi la part entre les termes obligés, imposés par le sujet, et ceux qui relèvent d’un véritable choix original de la part de l’auteur. On ne peut reprocher l’emploi de termes usuels.

Dans un livre technique ou scientifique, il est impossible d’éviter le recours à un vocabulaire spécifique. De même, dans ce type d’ouvrages, est-il inévitable de rappeler des évidences propres au domaine traité et de procéder par des exemples appartenant au fonds commun de la matière. Tout au plus faudra-t-il donner des références, citer l’auteur des travaux auxquels on fait allusion. Cela ne signifie nullement que l’utilisation des mêmes exemples soit autorisée, ni que le piratage des phrases et des expressions originales élaborées par d’autres soit libre. En effet, quand bien même ces formulations ou le choix des exemples ne seraient pas suffisamment originaux pour être protégés par le droit d’auteur, l’action en concurrence déloyale reste un excellent moyen de sanctionner le piratage sans vergogne.

Les mêmes difficultés affectent les cartes géographiques ou encore les illustrations de type planches de dictionnaires, dont le but est de se conformer autant que faire se peut à la réalité, et qui présentent de facto entre elles de nombreuses ressemblances.

Il est donc normal que la jurisprudence se montre plus sévère vis-à-vis de publications où rien ne justifie de fortes similitudes entre les ouvrages: roman, poésie, théâtre…

Enfin, si les mots courants peuvent être repris par tous sans difficultés particulières, il n’en est pas de même pour l’utilisation de noms de personnages ou de titres qui peuvent présenter en eux-mêmes une véritable originalité. Ainsi l’adjonction du sous-titre L’Impossible Histoire ne permet-elle pas d’écarter la contrefaçon du titre principal, Paris sur crime.

Les dernières
actualités