7 NOVEMBRE - NOUVELLES Inde

Mahasweta Devi- Photo DR/ACTES SUD

Jagannath, "seigneur de l'univers", l'un des avatars de Vishnu, est célébré par une fête des Chars. Les Anglais qui l'observèrent pour la première fois virent dans la cohue des fidèles un rite sacrificiel consistant à se jeter sous les roues du char. Juggernaut, en anglais, signifie une chose inéluctable qui vous écrase. Ce rituel n'a jamais existé, mais l'idée d'un destin qui ravage est bien ancrée dans les mentalités du sous-continent indien. Fatalisme qui donne lieu à une fertile matière fictionnelle et dont s'inspire l'auteure de langue bengalie Mahasweta Devi. Militante de la cause des laissés-pour-compte - pauvres, castes inférieures méprisées, minorités tribales -, l'auteure de La mère du 1084 ne s'enferre pourtant jamais dans un naturalisme de l'apitoiement. Sa plume, fluide et acidulée à la fois, explore les recoins de l'âme sans mièvrerie. Au coeur de son oeuvre immense (de nombreux romans et quelque trois mille nouvelles) vibre la question de la place de la femme dans la société indienne : la condition féminine en Inde, rappelons-le, est l'une des pires au monde. Dans ce troisième livre traduit en français (Indiennes sort concomitamment en "Babel"), des vies de femmes ballottées par des vicissitudes censément inscrites dans un karma. Divorcée, veuve, concubine... les protagonistes se débattent. Kusum, l'égérie d'un poète qui a délaissé sa carrière de comédienne pour vivre leur passion illégitime, dessille soudain les yeux : "Du fond de ses entrailles, elle sentit monter un bouillonnement de rage et de haine pour l'écrivain. De son vivant, il avait entraîné Kusum dans l'indigence, et maintenant qu'il était mort, c'est lui qu'on applaudissait." Dans la nouvelle-titre, c'est la peur de devenir aveugle et de n'être plus utile qui hante Punnodashi, déjà traumatisée par les expropriations de terres lors de la partition de l'Inde et du Pakistan. Chez Mahasweta Devi, l'anatomie de l'Inde contemporaine avec ses trafics d'enfants et sa violence sociale amplifiée par la modernisation se pratique sans anesthésie.

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