Ses textes ressemblent à de fascinants labyrinthes. On y avance pas à pas, guidé par une prose qui ne cesse de surprendre, de diffuser une ambiance pour le moins singulière. Quand on la retrouve, dans un restaurant japonais en face de son pied-à-terre parisien, Véronique Bizot se montre catégorique. "Moins on parle de moi, mieux je me porte", lance-t-elle, alors qu’on sort à peine carnet et stylo.
Entre deux sushis, elle confie pourtant être née à Neuilly, avoir eu un père qui l’a élevée "avec beaucoup d’humour et de tragique", fréquenté une école catholique et suivi des études de lettres. Elle explique aussi qu’elle a d’abord été journaliste "un peu par hasard", a fait du stylisme et des reportages pour des revues de décoration, lancé un mensuel sur la gastronomie qui a duré deux ans, Palais, rédigé quelques critiques littéraires dans Marie France, ou encore rewrité pour une agence de publicité.
Véronique Bizot reconnaît son besoin d’espace pour écrire, sa difficulté face à la narration. Elle se dit incapable d’avoir un sujet, un projet. Préfère partir d’un lieu qui la "glace" plus que d’un personnage. Quand elle s’y met, elle travaille non-stop, à l’ordinateur. Ne raconte rien qui a trait à sa propre vie, n’anticipe pas, ne réfléchit pas. Elle revoit peu sa copie, reprend juste le matin ce qu’elle a achevé la veille.
Cette femme étonnante habite désormais entre Chartres et Rambouillet. Dans une maison, où elle jardine, avec le "Christian" à qui elle a dédié plusieurs de ses livres. Christian Oster, écrivain épatant qu’elle a rencontré il y a une dizaine d’années de manière romanesque, quinze jours après avoir découvert son œuvre avec Loin d’Odile, est toujours son premier lecteur.
L’auteure de Mon couronnement (Actes Sud, 2010, lauréat du prix Lilas, du grand prix du Roman 2010 de la SGDL, du prix Québec-France Marie-Claire Blais 2012, repris en Babel) précise qu’elle aime "faire court". Ce qui n’a pas échappé à ses inconditionnels, nullement gênés par le mince format de ses ouvrages.
Ecrire, elle l’a toujours fait pour elle. Dans ses tiroirs, elle a d’abord remisé deux romans "très mauvais" qu’elle n’a jamais montrés. Avant de s’atteler à un recueil d’histoires. Le manuscrit des Sangliers (2005, repris au Livre de poche), elle l’a adressé à cinq ou six éditeurs dont Stock. Jean-Marc Roberts l’appelle dès le lendemain, la convoque l’après-midi même et lui tend un contrat. Une "révolution", se souvient-elle, en décrivant un Roberts persuadé qu’elle allait faire "un tabac".
Un regard sombre.
Le volume reçoit des critiques "inespérées" dans la presse, mais se vend "trois fois rien". Ce qui explique peut-être que Roberts refuse ses Jardiniers. Son deuxième volume de nouvelles emballe en revanche celle qui va devenir son éditrice chez Actes Sud, Myriam Anderson, laquelle raconte qu’elle a succombé d’emblée à "ses ambiances et son regard sur le monde objectivement sombres", à son humour qui naît d’une phrase "comme en fuite, comme suspendue à son propre mouvement, quelque chose entre la toupie et le ballon de rugby". Phrase où "une virgule et un adverbe peuvent devenir d’irrésistibles ressorts comiques".Lectrice "sélective", Véronique Bizot goûte les romans anglais, les classiques et les polars. Ses prosateurs favoris sont Nicolas Bouvier, William Faulkner, Thomas Bernhard, Joseph Conrad, Duras et Modiano. Chez les contemporains, elle cite Yves Ravey pour "sa folie totalement organisée", Javier Marias pour sa "vitalité", Jean Rolin ou le Matthias Zschokke de Maurice à la poule.
Bien qu’elle ait commencé par en proposer deux volumes, elle affirme ne pas tellement apprécier les nouvelles, trouver cela "un peu frustrant" et ne laissant pas "le temps de s’installer". Il faut se ruer sur le formidable Ame qui vive, dont le titre est redevable à Christian Oster. Elle y met en scène de main de maître des hommes confrontés à la solitude et à l’adversité dans un décor de montagne et de neige.
Son prochain opus est destiné à la collection "Essences" d’Actes Sud qui tourne autour du parfum et des odeurs. "C’est hypercompliqué, il faut bifurquer", lâche-t-elle en précisant juste qu’il s’agira d’une suite de fragments. Pas mal, venant de quelqu’un qui apprécie peu de parler d’elle ! Alexandre Fillon
Ame qui vive, Véronique Bizot, Actes Sud, 14,80 euros, 110 p., ISBN : 978-2-330-02732-2. Sortie : 5 février.