Malgré le prénom prédestiné que lui a choisi son père, Bérénice, née le jour du traité de Versailles le 28 juin 1919, l'héroïne racinienne du premier roman d'Isabelle Stibbe doit affronter bien des obstacles pour accomplir sa vocation : entrer comme tragédienne à la Comédie-Française. L'ascension se heurte d'abord à une violente hostilité familiale, et la fille unique de Maurice Capel - né Moïshe Kapelouchnik, juif ashkénaze ayant fui les pogroms de sa Russie natale et devenu fourreur à Paris - est chassée à 15 ans du domicile familial alors qu'elle vient d'être reçue au concours du Conservatoire. Trois ans plus tard, en 1937, sous l'identité d'une aristocrate qui la protège, Bérénice de Lignières entre comme pensionnaire au Français. Ce serait la consécration tant attendue si la guerre ne venait briser cette trajectoire. Servante exaltée et romantique de son Art, Bérénice ne veut pas croire que la "Maison", institution tant vénérée, puisse, elle aussi, céder aux démons qui gagnent le pays. Elle met du temps à prendre la mesure du danger mais, rattrapée par ses origines, elle se retrouve face à de torturants cas de conscience, après la fuite en Espagne de son mari, Nathan Adelman, compositeur allemand d'origine juive qu'elle a épousé en 1940, puis la démission forcée de ses camarades sociétaires, René Alexandre et Jean Yonnel, victimes de l'épuration.
Les personnages de fiction - notamment l'ami du couple, "l'avocat-poète » Alain Béron - évoluent dans une troublante relation avec les acteurs réels de cette période, côtoyant les administrateurs de la Comédie-Française Edouard Bourdet et Jacques Copeau qui lui succéda ; Louis Jouvet que la romancière met en scène comme professeur de son héroïne au Conservatoire ; les comédiens Pierre Dux et Robert Manuel, Marie Bell ou Véra Korène...
Isabelle Stibbe, qui fut responsable des publications du Français et est actuellement secrétaire générale de l'Athénée théâtre Louis-Jouvet, connaît bien son affaire. Son roman, non content de documenter un pan de la vie culturelle française sous l'Occupation, communique aussi la ferveur passionnée de son auteure.