Environnement

Quand le livre voit vert

Julia Beyer, ingénieure en environnement chez l'imprimeur suisse Vögeli. - Photo DR

Quand le livre voit vert

Après la prise de conscience et les déclarations d'intention, le livre multiplie les initiatives en faveur de l'écologie depuis quatre-cinq ans. Si aucune solution miracle n'existe, une myriade d'interrogations et d'expérimentations écoresponsables voient le jour.

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Par par Fanny guyomard, Cécilia Lacour et Souen Léger
Créé le 15.07.2024 à 18h30

À quoi ressemble un livre écologique ? Il n'existe pas. « La production d'un livre implique forcément un impact sur l'environnement », pointe Brigitte Michaud, responsable éditoriale de Terre vivante. « Soyons clairs, faire des livres est difficilement une activité 100 % écolo », abonde Melchior Ascaride, directeur artistique des Moutons électriques, qui s'applique à « refuser les techniques de fabrication qui impliquent des matières nocives, comme les aimants, ou qui viennent de trop loin ». Depuis une quinzaine d'années, et la création du collectif des -Éditeurs écolo-compatibles (La Plage, Rue de l'Échiquier, La Salamandre, Plume de carotte, les Éditions de Terran, Pourpenser, le Souffle d'Or et Yves Michel), une poignée d'acteurs et d'actrices se sont retroussé les manches. Dans leur sillage, le monde du livre a accéléré sa prise de conscience écologique. - La création en 2019 de l'Association pour l'écologie du livre a « fait bouger les lignes », estime Benoît Moreau, fondateur d'Ecograf, qui accompagne maisons et imprimeurs dans la définition de leur stratégie environnementale.

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Pour sa collection « Résiliences », Ulmer utilise un papier 100 % recyclé, le Shiro Recycled Paper de Favini, un papetier italien.- Photo ULMER

Après les déclarations d'intention (lire LH Le Magazine no 15, décembre 2021), de nombreuses initiatives fleurissent. Mais se plonger dans l'écoresponsabilité, c'est entrer dans un univers foisonnant d'expérimentations. Et surtout d'interrogations qui restent parfois en attente de réponse.

Vert l'horizon

« L'écologie matérielle est très documentée, mais reste obscure pour les pros », déclare Marion Cazy, chargée de projets écologie du livre et événementiel au sein de Normandie Livre & Lecture. Avec ses consœurs Mélanie Cronier, chargée de mission écologie du livre et de la lecture chez Mobilis (Pays de la Loire) et Alice Cornu, chargée de mission économie du livre à Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture, elle a lancé en début d'année le cycle de webinaires « L'écologie du livre en régions » en associant les autres agences régionales, la Fédération interrégionale du livre et de la lecture et l'Association pour l'écologie du livre. L'objectif : « Centraliser les ressources et partager les expériences autour de l'écologie symbolique, matérielle et sociale pour ne pas devoir toujours recommencer à zéro », expliquent-elles. D'autant qu'un certain nombre d'entreprises ont déjà ouvert la voie.

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Les éditions La Mer salée ont renoncé au pelliculage et limitent l'encrage sur leurs couvertures.- Photo SANDRINE ROUDAUT

C'est le cas d'Ulmer, qui a « entamé une révolution il y a sept ans dans [ses] pratiques », explique son directeur artistique Guillaume Duprat. La maison a par exemple rapatrié une partie de sa production chez l'imprimerie Pollina en France, raisonné ses tirages, et lancé la collection « Résiliences », intégralement imprimée sur du papier recyclé, sans pelliculage et avec une compensation carbone via ClimatePartner. « C'est la collection avec laquelle nous sommes allés le plus loin, mais utiliser du papier recyclé n'est pas possible pour tous les projets à cause du surcoût important », nuance Anthony Gachet, responsable administratif et commercial d'Ulmer. Même démarche à La Plage. La maison a recours à des papiers « labellisés et européens qui sont recyclés ou issus de forêts écogérées », explique sa directrice éditoriale Céline Le Lamer. Elle veille aussi à optimiser les formats pour limiter la gâche et à fixer les tirages en fonction de la prospection commerciale. Le tout avec une impression 100 % française. Autant de pratiques dont La Plage partage l'expérimentation avec le groupe Hachette, dont la maison fait partie. Poussant plus loin, Céline Le Lamer réfléchit à la possibilité d'opter pour un transport plus vert.

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Les éditions La mer salée ont renoncé au pelliculage et limitent l'encrage sur leurs couvertures.- Photo SANDRINE ROUDAUT

Après une prise de conscience en 2021, Céline Pévrier, fondatrice de la maison d'édition sun/sun, a quant à elle décidé de faire appel à L'Atelier papetier (voir p. 38), qui « fabrique du papier artisanal 100 % fait main à 30 km de chez [elle] », notamment pour la couverture de Dysnomia d'Alexandre Dupeyron, publié l'année suivante. « À l'œil et au toucher, il se passe quelque chose », estime l'éditrice qui réitère l'expérience en octobre avec Le bruissement entre les murs de Clara Chichin et Sabatina Leccia. « La couverture sera teinte avec des pigments naturels et, pour certains exemplaires, piquetée à la main par une brodeuse », explique-t-elle.

There are some alternatives

Comme les fondateurs de L'Atelier papetier, Céline Pévrier croit aux projets de « livres hybrides ». « Nous faisons des tests pour que l'imprimeur avec lequel je travaille en Espagne puisse récupérer les feuilles fabriquées à la main, les intégrer et les relier industriellement avec ce qui aura été imprimé chez lui en offset », précise-t-elle. En plus d'une fabrication plus écoresponsable et d'une politique « zéro pilon », Sandrine Roudaut, cofondatrice de la Mer salée, a aussi cheminé pour trouver le bon équilibre. « Nous avons par exemple enlevé le pelliculage car il est issu de produits pétroliers, mais nos couvertures cartonnées étaient plus fragiles, entraînant plus de retours. On a changé totalement de papier de couverture avec du Fedrigoni teinté dans la masse sans pelliculage. Je pense que c'est la meilleure option. »

Secteur « gourmand en eau et en électricité », le papier cherche d'autres solutions, telles qu'une production « avec des dérivés organiques comme des écorces d'orange », pointe Claire Dupont de Dupont Agencies. Collaborant avec elle, notamment pour fabriquer les titres de Diane de Selliers, Laurent Pinon de l'agence Prototype évoque de son côté l'invention de Valentyn Freshka, « un ingénieur ukrainien qui a créé un procédé pour produire du papier recyclé à partir de feuilles mortes ».

De manière plus globale, « on est sortis des discussions autour du papier certifié, du recyclage ou du pilon pour parler de mesures transformationnelles », observe Fanny Valembois, cofondatrice du Bureau des acclimatations, pilote du secteur Livre et édition au Shift Project et pilote du projet de recherche « Décarboner le livre et l'édition », en partenariat avec l'université Grenoble-Alpes. « Les pros sont moins dans des mesures d'ajustement mais optent davantage pour une vision systémique sur le besoin de transformation globale et profonde », poursuit-elle.

C'est par exemple le cas de l'imprimerie suisse Vögeli, première au monde à avoir obtenu la certification cradle to cradle gold en 2019 après avoir « économisé tout ce qui était possible en matière d'énergie », explique son ingénieure en environnement Julia Beyer. Cette certification « amène de la transparence. Elle permet de connaître la composition d'un produit et d'en changer les composantes pour avoir un produit le plus durable possible, qu'il soit réparable, réutilisable, recyclable ou revalorisable ». Deux seuils existent : le gold et le silver. Dans le premier cas, « 100 % des substances utilisées ne sont pas problématiques mais bénéfiques pour l'environnement ou d'origine naturelle, continue Julia Beyer, pointant que cette certification va plus loin que les seuils maximaux fixés par la législation ».

Collaboration

Parmi les clients de Benoît Moreau, des maisons souhaitent désormais « définir une stratégie d'achat de papier par rapport à leur empreinte carbone, estimer l'empreinte d'une impression en Europe ou encore faire le bilan des émissions de l'ensemble des activités d'un groupe ». Une maison va même plus loin. « Un client veut calculer l'empreinte carbone de ses livres pour savoir si une collection avec un fort impact environnemental vaut le coup d'être maintenue. » Ce propos entre en résonance avec ceux de Camille Poulain, cofondatrice de l'atelier de fabrication Lichen. « L'économie circulaire repose sur le principe des 3R : réduire, réutiliser, recycler. Cela suppose de savoir refuser et d'arrêter la surproduction. Si personne n'achète le livre le plus éco-conçu du monde, celui-ci a été fait pour rien », explique-t-elle. « Le meilleur produit en matière d'écologie du livre est un ouvrage qui est lu », abonde Benoît Moreau.

La fabrication reste souvent la partie émergée de l'iceberg, la problématique touchant tous les maillons de la chaîne, comme le souligne le plan de soutien à la transition écologique sur quatre ans adopté par le Centre national du livre en mars dernier ou le programme de « L'écologie en régions ». Librairies et bibliothèques ont aussi leur rôle à jouer (lire par ailleurs). Tout comme les manifestations, dont la principale source d'émissions de gaz à effet de serre provient des « déplacements des visiteurs », fait valoir Fanny Valembois. Et ce, devant « l'alimentation sur place et les espaces de librairies qui génèrent énormément de retours ou de pilon », continue-t-elle.

Face à l'urgence écologique, l'ensemble des personnes interrogées sont formelles : « La solution ne peut être que collective », résume Benoît Moreau. Si l'engagement des professionnels, les carences en matières premières ou encore le cadre légal poussent les acteurs du secteur à se transformer sur certains points, la « révolution écologique » de la filière n'a pas encore eu lieu. Jouissant de son capital symbolique, le livre reste par exemple largement exempté de contribution au dispositif de la responsabilité élargie des producteurs (REP), qui fait peser sur le producteur le coût de la gestion de la fin de vie de ses produits. À défaut de contrainte législative, il appartient au monde du livre d'établir un véritable dialogue interprofessionnel pour se transformer durablement. C. L. & S. L.

Les questions (et les réponses) qui font bouger les lignes

Entre alternatives et contraintes, la fabrication d'un livre écoresponsable soulève son lot de questions. "Ça dépend" est la réponse privilégiée des pros, qui appellent toujours à la nuance et à l'examen au cas par cas. Illustration avec quatre postes clés.

ENCADRÉ 1

TITRE / Papier : en quête de transparence

Les labels FSC et PEFC sont-ils suffisants ? Pas vraiment. "Ils concernent la chaîne de traçabilité sur les forêts. On pense souvent que ces papiers sont mieux fabriqués, alors qu'ils peuvent être bourrés de produits chimiques", indique Camille Poulain, de l'atelier de fabrication Lichen. À la fin de l'année, un règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) entre en vigueur, Benoît Moreau s'interroge : "La RDUE traduit-elle un échec de ces certifications ? Si elles étaient efficaces, ce texte ne serait peut-être pas nécessaire..."

Peut-on savoir d'où vient le papier ? Très difficilement. La provenance des fibres est souvent impossible à identifier car les papetiers mélangent diverses fibres aux propriétés spécifiques. "Dans un même papier, on peut avoir des fibres venant de treize endroits différents", assure Camille Poulain. Par ailleurs, tous les fabricants ne mettent pas facilement à disposition le paper profile (la déclaration environnementale des papiers). "Quand c'est trop opaque, il vaut mieux éviter d'utiliser ces papiers, mais ce degré d'exigence n'est pas évident à mettre en place", estime Guillaume Duprat, directeur artistique d'Ulmer.

Le papier recyclé, une panacée ? "Pour répondre aux critères de l'éditeur, un papier recyclé peut être surtraité, la fibre de bois étant remplacée par des produits chimiques", observe Benoît Moreau d'Ecograf. Par ailleurs, "la fibre est le plus souvent rachetée à des recycleurs principalement situés en Allemagne et en Autriche ; or ce ne sont pas les pays les moins carbonés en Europe", pointe Camille Poulain.

ENCADRÉ 2

TITRE / Encres : la grande conversion

Quels sont les types d'encres offset ? Les encres à base d'huile minérale contiennent des composés nocifs pour la santé et seront, pour la plupart, interdites à partir de 2025. Les encres à base d'huile végétale ne sont pas toxiques, mais pas écologiques pour autant. "Ça peut être de l'huile de palme ou de l'huile de soja OGM", cite en exemple Camille Poulain de l'agence Lichen. "Pour l'offset à plat, 95 % des encres en Europe sont à base d'huile végétale, mais ce n'est pas du tout le cas pour l'offset rotative, notamment parce qu'on n'arrive pas à les faire sécher", indique l'experte. Face à la réglementation européenne sur l'interdiction des encres minérales, de nombreux imprimeurs adoptent les encres "blanches", labellisées "Blue Angel". Composées d'huiles minérales, elles ne contiennent pas de composés suspectés d'être cancérigènes.

Et les encres UV ? Compatibles avec l'impression offset rotative et à plat, les encres UV ont l'avantage de sécher instantanément en présence de rayonnement UV, permettant d'accélérer la fabrication. "En vue du recyclage, certaines sont désencrables, mais toujours plus difficilement que des encres traditionnelles", note Camille Poulain.

Comment limiter l'encrage ? "La couleur sur les couvertures est amenée par du papier qui est teinté dans la masse directement par le papetier. Ce n'est pas du papier blanc sur lequel on monte différentes couleurs", illustre Florence Boudet, directrice artistique des éditions La Mer salée.

ENCADRÉ 3

TITRE / Pelliculage : la touche finale à repenser

Existe-t-il des alternatives aux pelliculages plastiques traditionnels ? De plus en plus. "Il y a cinq ans, notre imprimeur commençait à disposer de solutions plus écologiques mais elles étaient hors de prix. Depuis un an, les choses bougent", souligne Guillaume Duprat, directeur artistique d'Ulmer. Pour leurs brochés, l'imprimeur utilise un pelliculage à partir de plastique biosourcé, le PLA (acide polylactique), produit à partir d'amidon végétal (souvent du maïs). "Outre son origine végétale, le PLA émettrait jusqu'à 80 % de CO2 de moins qu'un plastique traditionnel", précise Anthony Gachet, responsable commercial de la maison. Le tout pour un surcoût de l'ordre de 0,05 € par exemplaire.

Peut-on se passer totalement de pelliculage ? Oui. "Le livre est ainsi plus facilement recyclable. Même si cela fragilise un peu l'objet, j'aime l'idée qu'un livre puisse porter des traces de vie", explique Florence Boudet, pour La Mer salée. "Nous imprimons de plus en plus de livres sur du papier recyclé sans pelliculage. Mais ils s'abîment plus vite, ce qui déplaît aux libraires. Il y a donc un équilibre à trouver", estime Guillaume Duprat. "Depuis cette année, nous imprimons sur des cartes retournées : au lieu d'utiliser le côté lisse, nous imprimons sur le côté rugueux, ce qui évite de mettre un pelliculage", poursuit le directeur artistique.

Le zéro pelliculage, est-ce toujours bénéfique ? Pas nécessairement. "Si on met un pelliculage par atavisme, ça n'a pas de sens. Mais si le pelliculage allonge la durée de vie d'un livre, c'est une bonne idée", résume Benoît Moreau, fondateur d'Ecograf.

ENCADRÉ 4

TITRE / Transport : les lois de la proximité

Avion, bateau, train, route ? Cela dépend. Dans l'idéal, mieux vaut éviter le transport par avion. Le transport routier est à privilégier pour de courtes distances. "Un imprimeur en Lettonie a commandé du papier recyclé dans le milieu de l'Italie, qu'il a ensuite rapatrié en camion. Il estime proposer un produit écolo, mais pas du tout !", illustre Benoît Moreau. Il ajoute par ailleurs que les maisons françaises peuvent s'appuyer sur "des papiers suédois très bas carbone qui peuvent être intéressants s'ils sont transportés par bateau". À l'heure où le tourisme ferroviaire a le vent en poupe, ce mode de transport serait-il l'idéal ? Peut-être. Mais "le fret étant sous-développé, avec Printer Trento, nous n'avons pas réussi à mettre une voie d'acheminement par train", regrette Anthony Gachet, responsable administratif et commercial chez Ulmer.

Production locale ? Autant que possible. Pour illustrer la logique de proximité, primordiale dans une démarche écologique, Benoît Moreau dessine souvent des cartes pour ses clients : "Il faut avoir le triptyque papeterie-imprimeur-centre de stockage en tête." Plus le triangle est petit, plus la production est écologique. "Et plus on imprime en étant proches des papetiers, moins on a de déchets. D'où l'importance d'avoir des usines à papier en France", pointe-t-il. C. L. et S. L.

Entre verdure et vertu

Au cœur du Trièves en Isère, la Scop Terre vivante, qui réunit un centre écologique, un magazine et une maison d'édition, multiplie les expérimentations pour tenter de limiter l'impact environnemental de ses activités. Reportage. 

Découvrir le centre écologique de Terre vivante se mérite. Niché à plus de 750 mètres d'altitude au cœur du Trièves, à 50 km au sud de Grenoble, le lieu ne se révèle qu'au terme de longues routes sinueuses traversant des paysages bucoliques. Sur place, l'horizon se pare de montagnes et de forêts. Seuls quelques gazouillis d'oiseaux, un léger clapotis d'eau et les conversations de l'équipe viennent troubler la quiétude de l'endroit. C'est dans ce cadre paisible que Terre vivante a élu domicile voilà trente ans. « Nous avons acheté, pour un euro symbolique à la ville de Mans, une vieille réserve de chasse dont la ferme avait brûlé au début du siècle », raconte Agathe Béon, attachée de presse.

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L'accueil du centre écologique.- Photo ©CÉCILIA LACOUR

Sur les 50 hectares de zone forestière qui composent le domaine de Raud, dont six ont été aménagés, l'écologique se vit au quotidien. Les bâtiments, locaux professionnels et d'accueil ou hébergement du public, ont été construits ou réhabilités « en accord avec les matériaux et les techniques les plus écologiques de l'époque », souligne Agathe Béon. Des panneaux solaires permettent à la Scop d'être quasiment autonome en électricité. Des mares sont régulièrement creusées par les jardiniers et ont notamment permis le développement des crapauds sonneurs à ventre jaune, une espèce en voie de disparition sur l'ensemble du territoire français. Les membres de l'équipe, dont la majorité est associée de la Scop, optent pour des trajets en covoiturage. La liste est longue.

Questionnements

Pour Terre vivante, qui réunit à la fois le centre écologique, le magazine Les 4 saisons et la maison d'édition, lier une production journalistique et éditoriale tournée vers l'écologie pratique à un engagement concret en faveur de l'environnement fait sens. La maison, première à avoir réalisé en 2011 une analyse du cycle de vie de sa production, a principalement recours à du papier recyclé - et totalement pour la fabrication des 4 saisons - et des encres végétales. - Bien que le papier recyclé « ne soit pas la panacée, puisqu'il nécessite l'injection de fibres vierges », pointe la directrice éditoriale Brigitte Michaud. Les formats sont rationalisés, la pagination soigneusement pensée, les tirages optimisés. Des attentions devenues « assez évidentes », estime Brigitte Michaud. Accompagnée de sa responsable de fabrication Marie Décamps, l'éditrice travaille aussi sur le grammage afin de réaliser « des économies de papier, de poids et de transport ». La maison a aussi fait « le choix d'imprimer au plus près, quitte à payer un peu plus cher », de grouper au mieux sa fabrication et d'éviter à tout prix « de générer du transport sur mesure à la manière d'Amazon. Une livraison en 72 heures est bien suffisante », déclare Brigitte Michaud.

Si Terre vivante a tout d'un bon élève, son équipe n'en reste pas moins sujette à de multiples questionnements. « L'écologie est une affaire de compromis, pointe le directeur général Olivier Blanche. Sans pouvoir l'atteindre, nous cherchons à tendre vers l'exemplarité. » En écho, Marie Décamps l'assure : « Il n'existe pas de solution miracle, nous devons peser et penser chaque livre. » La responsable de fabrication se tient néanmoins toujours prête à « renoncer à des choix esthétiques par souci écologique ». Parfois, ce choix est complexe. La maison a par exemple recours au pelliculage pour ses ouvrages pratiques. « Le livre devient plus durable, il est moins retourné et pilonné », constate Brigitte Michaud.

Expérimentations

Consciente de la difficile alliance entre engagement écologique et production industrielle, Marie Décamps est à l'affût de toute nouvelle option. « Si de nouvelles solutions émergent, nous ne voulons pas passer à côté : faire l'étude de chaque nouvelle alternative est intégré dans notre raisonnement au quotidien », assure-t-elle, alors en cours de réflexion sur le conditionnement de la production ou encore sur l'éventuelle utilisation d'un nouveau papier en partie fabriqué à partir de tonte de pelouse.

Profondément engagée, la vingtaine de personnes que compte l'équipe partage continuellement ses trucs et astuces et nourrit ensemble sa réflexion. Le tout en s'imprégnant de son lieu de travail. Docteur en biologie forestière et responsable des jardins du centre écologique, Pascal Aspe mène, au moment de notre visite, une expérience sur les greffes sauvages. Et après avoir retrouvé la trace d'anciennes vignes, il tente d'en cultiver une douzaine de variétés afin de proposer des alternatives aux traitements chimiques. Des expérimentations qui pourront peut-être donner lieu à des publications dans le magazine ou la maison d'édition, tout comme la construction du centre avait par exemple ouvert le catalogue de Terre vivante à la thématique de l'habitat écologique. Circulaire et vertueux, l'écosystème Terre vivante.

L'avenir est dans le mûrier

Et si le futur du papier était entre les branches d'une plante classée parmi les espèces invasives ? 

Le mûrier à papier, ou mûrier de Chine, est utilisé au Japon depuis le VIIe siècle pour fabriquer du papier. Il est aussi au cœur de l'activité de Benoît Dudognon et Stéphanie Allard, cofondateurs en 2010 de l'Atelier papetier installé à Salasc (Hérault), et uniques fabricants en Europe de papier japonais ou « washi ».

« J'ai travaillé dix ans dans l'industrie, sur les machines à papier. Grâce à Stéphanie, qui travaillait à l'époque dans des parcs nationaux, j'ai fait une initiation à la restauration de livres anciens ; c'est comme ça que j'ai découvert le papier japonais », raconte Benoît. Ensemble, le couple part se former au Japon afin de maîtriser les techniques traditionnelles de fabrication, depuis la réalisation des feuilles jusqu'au façonnage des papiers.

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Stéphanie Allard et Benoît Dudognon, créateurs de L'Atelier papetier à Salasc (Hérault).- Photo DR

68 000 papetiers

« Au Japon, il y avait 68 000 papetiers avant la Seconde Guerre mondiale. Ils produisaient autant pour l'habitat que pour les livres. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une centaine et je forme moi-même des personnes dans l'Archipel, où le savoir-faire s'est perdu », poursuit Stéphanie.

Un métier exigeant, et peu rémunérateur à l'heure actuelle. « Pour faire entre 30 à 40 feuilles de 1 mètre par 66 centimètres, on a besoin de 45 heures, en comptant les temps d'agriculture et de récolte. Cela revient à 6 euros net de l'heure », détaille Benoît. Mais le jeu en vaut la chandelle. Le washi n'est toxique ni pour la santé humaine ni pour l'environnement, lorsqu'il est fabriqué de façon artisanale. « Il nous faut seulement de la fibre de mûrier, la main, et l'eau », précise le papetier. Compatibles avec des imprimantes laser ou jet d'encre, leur coût est élevé, de l'ordre de 30 à 35 euros la feuille.

Livres hybrides

« Dans le domaine du livre, c'est un produit d'avenir, mais il faut y aller crescendo », expliquent Stéphanie et Benoît, qui défendent « le livre hybride ». « Même si les livres sont faits avec des pages et des produits plus industriels à l'intérieur, le fait que la couverture soit en washi évite leur dégradation rapide », affirme le duo. Tel est d'ailleurs l'esprit de leur collaboration avec les éditions sun/sun, pour lesquelles l'Atelier papetier a réalisé la couverture du livre de photographies Dysnomia, d'Alexandre Dupeyron. Travaillant aussi avec la jeune maison lilloise La Fourmi, l'Atelier papetier contribuera à la fabrication d'environ 500 exemplaires de livres en 2024.

« Du côté de l'édition, la demande pousse, mais nous ne sommes que deux », pointe Stéphanie. Le couple rêve de créer une coopérative de papetiers artisanaux. « Cela permettrait de centraliser le savoir, mais aussi de mutualiser la récolte ou encore certaines fonctions, comme la communication et la commercialisation », indique Stéphanie. In fine, le prix des feuilles baisserait lui aussi. Le petit plus ? Des livres faits en washi pourraient être entièrement recyclés en sacs à main, en vêtements, ou encore en isolant pour les maisons. S. L.

Librairie : il est urgent de ralentir

Dans l'ensemble du cycle de vie d'un livre, la phase qui génère le plus d'impacts environnementaux est la fabrication. Pour autant, les libraires en bout de chaîne ont aussi un rôle à jouer.

« Êtes-vous exposés aux risques liés aux changements climatiques et à la crise écologique ? Oui. Or nous avons envie qu'il y ait des librairies dans un monde post-pétrole où l'énergie va continuer à coûter plus cher, où les vagues de chaleur seront plus fréquentes, etc. », interpelle Fanny Valembois, coautrice avec David Piovesan d'une étude sur l'écologie en librairie pour la Fédération européenne et internationale des libraires (EIBF).

À travers les transformations écologiques, c'est bien l'avenir des librairies qu'il s'agit aussi de garantir. Agir peut commencer par des gestes d'adaptation, comme les économies d'énergie. À La Rochelle, la librairie Gréfine a par exemple remplacé toutes ses ampoules par des panneaux LED, permettant de diviser par trois la facture d'électricité, et de rentabiliser les travaux en une seule année.

Agir sur les achats... et les transports

Mais en librairie, le poste ayant le plus d'impact reste bien souvent celui des achats de livres. D'après le laboratoire The Shift Project, qui a réalisé le bilan carbone d'une librairie située dans une ville de 10 000 habitants, les achats de livres et de papeterie représentent 67 % des émissions. « On peut donc envisager de ralentir les commandes et les livraisons, de privilégier des éditeurs éco-engagés, ou encore de proposer des livres d'occasion », énumère Fanny Valembois, qui a contribué au rapport « Décarbonons la culture ! » publié par The Shift Project en 2021.

Le même exercice, réalisé pour une librairie en zone rurale, révèle que les déplacements des clients sont supérieurs aux émissions liées à la fabrication des livres. « La manière dont les clients viennent en librairie est un point aveugle que nous essayons de creuser. Est-on sûrs que les clients se déplaceront si l'essence continue à flamber ? », questionne Fanny Valembois. À Rennes, pour mettre en avant l'offre de transports en commun, la librairie Le Failler propose 5 % de réduction sur présentation de la carte d'abonnement. Mais il peut aussi s'agir d'améliorer l'accueil des clients à vélo, avec un parking sécurisé ou un espace pour laisser son casque.

Délicate décroissance

« La priorité est d'avoir une démarche d'autodiagnostic », souligne Fanny Valembois, rappelant qu'une grille d'autoévaluation figure dans l'étude menée pour l'EIBF. « Il s'agit de se demander qui est intéressé dans l'équipe, qu'est-ce qu'on a envie de travailler et pourquoi ? Et prendre le temps d'y réfléchir pour ne pas se perdre », conseille-t-elle.

Prendre le temps. Ralentir. Là est peut-être l'urgence pour un virage écologique en librairie.

Entre janvier et juin 2024, l'Association pour l'écologie du livre, présidée par la libraire du Rideau rouge à Paris (XVIIIe) Anaïs Massola, a mené une recherche-action proposant « une trêve de nouveautés pour les libraires ». L'objectif ? Faire des pauses dans l'achat des nouveautés, afin de reprendre en main du temps de travail, et de « se créer des respirations fortes » pour se préoccuper différemment des livres.

À Lyon, dans une approche décroissante, la librairie Terre des livres a par ailleurs testé des horaires réduits de mai 2020 à mai 2023, avec une ouverture uniquement les après-midi durant la période post-Covid, puis une réouverture les matins à partir de mai 2023. « Nous n'avons toujours pas rouvert entre 18 heures à 19 heures, mais nous devrons peut-être le faire prochainement pour garder nos emplois, compte tenu du tassement de l'activité », explique la libraire Marguerite Martin. La preuve par l'exemple que les conditions d'une transformation profonde de la librairie, et de la chaîne du livre dans son ensemble, restent à trouver, loin des recettes miracles. S. L.

Plus vertes les bibliothèques ?

Sophie Bobet est responsable de la médiathèque de la Canopée - La Fontaine (Paris Ier), lauréate du projet de la bibliothèque verte de l'Ifla, et membre de la commission Bibliothèques vertes de l'ABF.

Les initiatives écoresponsables fleurissent dans nombre de bibliothèques, en lien avec le lancement en 2022 de la commission dédiée à l'Association des bibliothécaires de France (ABF). Quelles difficultés peuvent freiner ce -déploiement ?

Les bibliothécaires manquent souvent de moyens. Limiter l'impact environnemental de nos pratiques demande beaucoup d'expérimentations, donc du temps, un budget, des formations. Et les élus ne reconnaissent pas toujours la variété de nos missions et tout ce que les bibliothèques ont réalisé en matière de développement durable. Ce qu'on va faire à l'ABF, c'est cartographier ce que font les bibliothèques et partager les retours d'expérience.

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L'équipe de la médiathèque de la Canopée - La Fontaine, à Paris.- Photo DR

Sur quel point péchez-vous ?

Chez nous, le diagnostic environnemental a pointé la seconde vie des documents. On a donc demandé dans nos marchés publics de moins les plastifier, et aujourd'hui ça commence à entrer dans les mœurs. Les bibliothèques peuvent faire du lobbying auprès des fournisseurs, demander des matériaux moins polluants, et mettre en avant les éditeurs écolos. Je viens aussi de créer un poste de bibliothécaire chargé de la durabilité des collections.

Un frein, c'est que nous faisons partie d'un centre commercial, donc nous ne pouvons pas faire un vrai tri des déchets. Nous voulions aussi un potager, mais comme le jardin -Nelson-Mandela est l'œuvre d'un architecte, nous ne pouvons y toucher. On a finalement récupéré des bacs devant la Canopée (dont il a fallu retrouver la propriété : la mairie du VIIe !) et obtenu un permis de végétaliser.

Vous ne pouvez pas organiser une braderie pour « recycler » vos livres, car cela concurrencerait les bouquinistes du quartier...

La bibliothécaire chargée des échanges avec les libraires avance sur le dossier. Il y a déjà eu cette grosse avancée : déposer nos documents désherbés aux partenaires associatifs du quartier, et non plus faire transporter ces livres en un lieu unique à tout le réseau de bibliothèques de la capitale.

Quels sont vos projets dans la lignée de l'agenda 2030 ?

Les lecteurs ont envie que l'on travaille sur les discriminations hommes-femmes, et nous allons proposer aux personnes qui cherchent un emploi, des prêts de costumes et des ateliers CV. Les maîtres-mots, c'est expérimenter, et évaluer ensuite auprès des usagers si cela correspond à ce qu'ils souhaitent. Mais l'expérimentation doit aller de pair avec une réflexion au niveau national voire européen, pour se donner les moyens d'accompagner la chaîne du livre de demain, notamment sur les questions du développement des livres d'occasion et numériques. F. G.

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