Le métier de traducteur est aussi un travail d'auteur mettant en voix les mots d'un autre. Nombreux sont ceux qui, comme Claro, Agnès Desarthe ou Valérie Zenatti, en parallèle de leur activité professionnelle, signent des romans. Mais depuis peu, la tradition de confier des traductions à des auteurs réputés est réhabilitée. Cette forme de parrainage ouvre les portes de la presse et permet de situer un texte par rapport à des repères connus des lecteurs.
Lors de la dernière rentrée littéraire, trois écrivains français, dont la notoriété n'est plus à démontrer, s'affichaient comme les traducteurs de textes qu'ils avaient découverts. Anna Gavalda a fait connaître en France Stoner de John Williams. L'ouvrage s'est vendu à 24 000 exemplaires et les libraires Initiales lui ont décerné le prix Mémorable. Il va être traduit en sept langues. « Le nom de la traductrice, qui apparaissait sur le bandeau transparent du livre, a dû aider à une certaine reconnaissance en France comme à l'étranger", concède Claude Tarrène, le directeur commercial du Dilettante.
SÉSAME
Mathias Enard, proche de la scène littéraire barcelonaise, a apporté au Cherche Midi une traduction du déroutant Proust fiction, recueil de nouvelles de l'Espagnol Robert Juan-Cantavella. Le nom de l'auteur de Zone (Actes Sud) sur la couverture de ce livre a été un sésame pour les médias, comme en témoigne l'attachée de presse Sabine Mille, même si la difficulté du texte fait que les ventes ont été faibles. Virginie Despentes, quant à elle, a traduit deux textes qui lui étaient chers pour les éditions Au Diable Vauvert. Elle a proposé dès 2002 l'ouvrage du musicien punk Dee Dee Ramone, Mort aux Ramones !, et a donné en 2010 une traduction de Déséquilibres synthétiques de Lydia Lunch qui a été rééditée à la rentrée 2011. "Dans la traduction, je recherche toujours la voix d'un auteur sur celle d'un autre auteur, explique Marion Mazauric, à la tête du Diable Vauvert. Et quand Despentes traduit Lydia Lunch, les voix s'accordent et s'amplifient."
Du coup, l'éditrice a tout de suite pensé à l'auteure de King Kong théorie pour la traduction d'un recueil de poèmes de Bukowski. Virginie Despentes serait en plein travail, et l'ouvrage pourrait paraître en septembre.
Les écrivains-traducteurs seront encore très présents à la prochaine rentrée. Ainsi, le roman phare de la rentrée étrangère de Flammarion, Tiger Tiger de l'Américaine Margaux Fragoso, sera traduit par Marie Darrieussecq. Lorsque l'éditrice Olivia de Dieuleveult a lu ce texte, elle a tout de suite pensé à la psychanalyste et auteure de Truisme qui n'a pourtant effectué qu'une seule traduction dans sa vie, Tristes Pontiques d'Ovide. La voix de Margaux Fragoso, quelque chose entre la naïveté, la rébellion, la honte et la force, lui faisait penser aux personnages de Marie Darrieusecq qui s'est en effet reconnue dans cette plume. Le roman raconte la relation entre une fillette de 7 ans et un homme de 51 ans. Cette histoire qui durera quinze ans montre les mécanismes de la perversion et, en donnant de l'humanité au pédophile, le rend d'autant plus effrayant. Pour Olivia de Dieuleveult, "il était très important qu'on ne déclasse pas le livre dans les "Misery memoirs"", ces témoignages voyeuristes. "Le fait que Marie Darrieussecq endosse la voix française dit bien le caractère littéraire du texte, le pouvoir de la langue qui transcende les faits réels par l'écriture."