C’est un choix de raison contre un choix du cœur. Alors que le bon sens voudrait que
Mohamed Mbougar Sarr (
La plus secrète mémoire des hommes, Philippe Rey), auteur le plus sélectionné de cette fournée 2021 des grands prix d’automne, soit primé le 3 novembre par la récompense ultime, certains critiques littéraires voient dans
Le voyage dans l’Est de
Christine Angot (Flammarion), la puissance d’un Goncourt. A moins que ce ne soit
Sorj Chalandon (
Enfant de salaud, Grasset) ou
Louis-Philippe Dalembert (
Milwaukee Blues, Sabine Wespieser), encore dans la course.
Prédit par 8 critiques sur 14 interrogés par
Livres Hebdo, la victoire de Mohamed Mbougar Sarr apparaît comme la plus évidente. «
Pas seulement parce qu’il est sur toutes les listes, explique
Bruno Corty du Figaro,
mais parce que c’est un merveilleux hymne au pouvoir des mots, de la littérature ». Un avis partagé par
Catherine Fruchon, responsable du magazine "Littérature Sans Frontière" chez RFI, qui salue
« cet écrivain riche de plusieurs cultures ». Un choix
« symbolique » pour
Baptiste Liger de
Lire - Le magazine littéraire qui, comme le signale
Marianne Payot de l’Express, viendrait marquer le centenaire du Goncourt attribué au Guyanais René Maran :
« la preuve éclatante de la vitalité et de l’universalité de la langue française ».Coup double gagnant
Si elle a déjà reçu mardi 26 octobre le Médicis, Christine Angot pourrait aussi remporter le Goncourt, soutiennent certains. Un choix argumenté par
Elisabeth Philippe à l’Obs qui rappelle «
l’exploit d’Andreï Makine », lauréat en 1995 du Goncourt et du Médicis pour
Le testament français (Mercure de France). L'autrice de
Voyage dans l'Est avive les espoirs d’
Hugues Honoré à l’AFP («
une romancière qui donne à notre vie littéraire de la consistance »), de
Pierre Vavasseur du Parisien Week-end («
un travail obstiné ») ou encore de
Nathalie Crom chez Télérama («
un livre âpre et puissant »). Une consécration, surtout, pour cette écrivaine qui démontre, une fois de plus, le traumatisme de l'inceste tout en en dénonçant ses effets dévastateurs et impardonnables.
Toujours en lice, Jean-Philippe Dalembert et son
Milwaukee blues «
mériteraient » aussi le Goncourt, clament plusieurs journalistes littéraires.
Ilana Moryoussef chez France Inter a été séduite
« par la puissance de son sujet et la fluidité de son écriture » tandis que
Sabine Audrerie à La Croix admire son
« regard décapant sur nos mondes et nos vanités ». Deux critiques saluent l'audace de cet écrivain qui s'est inspiré de l'affaire George Floyd.
"Le résultat est remarquable", lance Bruno Corty.
Comme tous les ans, plusieurs regrettent que les jurés n’aient pas contemplé la possibilité de distinguer de « grands livres » de cette rentrée. Quand
Nicolas Carreau d’Europe1 songe à la flamboyante Maria Pourchet,
Bernard Lehut fait valoir le
« talent stylistique et narratif » de Tanguy Viel dans
La fille qu'on appelle (Minuit).
L’année dernière, les journalistes avaient vu juste en prédisant la victoire d'Hervé Le Tellier pour
L'anomalie (Gallimard). Verdict mardi 3 novembre à 12h45 chez Drouant.
Qui l'aura ?*
Mohamed Mbougar Sarr : 8 voix
Sorj Chalandon: 3 voix
Christine Angot: 1 voixLouis-Philippe Dalembert: 0 voix
*Deux critiques ne se sont pas prononcés
Qui le mérite ?**
Chistine Angot : 5 voix
Mohamed Mbougar Sarr : 4 voix
Louis-Philippe Dalembert : 2 voix
Sorj Chalandon: 1 voix
Maria Pourchet : 1 voix
Amélie Nothomb: 1 voix
Tanguy Viel : 1 voix
**Plusieurs critiques ont donné plusieurs noms
Qui l’aura ?
Je parierais pour Christine Angot. Dès le départ on a senti un engouement des jurys pour ce livre, le plus lisible, le plus brillant dans une œuvre qui a d'autres recoins plus sombres ou plus frivoles. J'imagine le Goncourt saisir une occasion de consacrer une romancière qui, par son écriture et son discours, place très haut son exigence, et qui donne à notre vie littéraire de la consistance, de la visibilité. Aucune importance qu'elle ait remporté le Médicis auparavant.
Qui le mérite ?
Les quatre finalistes, sans exception! Dans des styles très différents, en prenant des risques, en se gardant strictement de l'autocomplaisance, ces auteurs-là nous ont tous emportés dans leurs tourments intérieurs. Mais j'ai un faible pour Christine Angot et Mohamed Mbougar Sarr, personnalités très opposées, toutes deux attachantes, et qui dans leurs romans respectifs se livrent de la manière dont la littérature sait le faire le mieux: avec nuance, réserve et hauteur de vue.
- Baptiste Liger - Lire Magazine littéraire
Qui l’aura ?
S'il n'a pas le Grand prix du roman de l'Académie française - un paramètre qui compte... -, l'ouvrage de Mohamed Mbougar Sarr a bien des atouts pour l'emporter. Au-delà de son ambition et ses évidentes qualités littéraires,
La Plus secrète mémoire des hommes serait un choix très symbolique, pour un livre qui a su déjà toucher ses lecteurs. En revanche, si ce titre est salué par les Immortels on voit mal un doublé et, dès lors, Sorj Chalandon pourrait remporter la mise.
Qui le mérite ?
Il aurait été judicieux de stopper, enfin, la malédiction "Amélie Nothomb au Goncourt", d'autant que
Premier sang compte, de l'avis général, comme l'un des meilleurs romans de la dame au chapeau et se révèle comme une synthèse de toute son œuvre. La scène dite du "repas hiérarchique" a vraiment marqué la rentrée littéraire, et restera dans les mémoires. Alors, avis aux jurés Renaudot, qui feraient l'événement, en touchant le très grand public et pas seulement les "gros lecteurs".
- Sabine Audrerie - La Croix
Qui l’aura ?
Je ne sais pas.
Qui le mérite ?
Je rêvais d’un prix Goncourt pour le roman de Clara Dupont-Monod,
S’adapter, l’un des plus beaux qui soit sur la différence, le handicap, le triomphe de la vie… qui a heureusement reçu le Femina ! Parmi les 4 finalistes du Goncourt, le Haïtien Louis-Philippe Dalembert et le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr ont ma préférence. A partir du meurtre de George Floyd pour le premier - au talent assuré -, et d’un mythe littéraire à la Borges pour le second - à la jeunesse audacieuse -, ils puisent loin et emmènent loin, avec un regard décapant sur nos mondes et nos vanités.
- Elisabeth Philippe - L'Obs - Le Masque et la plume
Qui l’aura ? Qui le mérite ?
Depuis l'ouverture de la saison des prix, tous mes pronostics ont été des échecs. Je pense que ma prédiction pour le Goncourt ne fera pas exception. Ma raison, ainsi que les rumeurs, me font penser que le lauréat 2021 sera Mohamed Mbougar Sarr. Il était sur toutes les sélections, mais ça porte parfois malheur (une pensée pour Alice Zeniter). Mon cœur, en revanche, veut croire au sacre d'Angot, qui pourrait renouveler l'exploit d'Andreï Makine avec un doublé Médicis-Goncourt. Donc, comme je me trompe toujours, ce sera Chalandon ou Dalembert.
- Nelly Kaprièlian - Les Inrockuptibles
Qui l’aura ?
Sorj Chalandon. Parce que c’est un roman sur la shoah, l’antisémitisme et la collaboration et que le jury Goncourt adore la Seconde guerre mondiale. En même temps, en cette période préélectorale et l’ampleur que prend l’extrême-droite, ça aurait du sens.
Qui le mérite ?
Christine Angot. Parce
Le voyage dans l’Est est le roman français le plus puissant de l'année, parce qu’elle aborde l’inceste (depuis des décennies), parce qu’en trente ans elle a bâti une œuvre unique qui a marqué la littérature française. A noter aussi que depuis 2010, seulement deux femmes (Lydie Salvayre et Leïla Slimani) l’ont reçu.
Qui l’aura ?
Mohamed Mbougar Sarr. Pas parce qu'il était sur toutes les listes de prix. Mais parce que c'est, de loin, le livre le plus ambitieux, le plus fort, de cette rentrée. Et pour récompenser l'excellent travail de son éditeur Philippe Rey.
Qui le mérite ?
Le même qu'à la première question pour les mêmes raisons: ambition, puissance, intelligence. Un livre comme un merveilleux hymne au pouvoir des mots, de la littérature. Louis-Philippe Dalembert, juste derrière, pour sa vision très juste de l'Amérique et son culot. S'inspirer de l'affaire George Floyd était risqué. Le résultat est remarquable.
- Ilana Moryoussef – France Inter
Qui l’aura ?
Mohamed Mbougar Sarr. Même si le livre n'est pas facile, on sent chez plusieurs jurés un fort élan pour ce roman.
Qui le mérite ?
Personnellement, j'aimerais que ce soit Louis-Philippe Dalembert pour la puissance de son sujet et la fluidité de son écriture.
Qui l’aura ?
L’alignement des planètes semble idéal pour Mohamed Mbougar Sarr, à moins qu’entretemps l’Académie française ait rebattu les cartes en attribuant son prix à
La plus secrète mémoire des hommes. Depuis la fin de l’été, la rumeur venue de chez Drouant fait de l’écrivain sénégalais l’élu des Goncourt et 100 ans après le premier lauréat noir, René Maran, le symbole est tentant, peut-être trop…
Qui le mérite ?
Tanguy Viel pour
La fille qu’on appelle. Incompréhensible d’avoir écarté du dernier carré l’un des grands livres de cette rentrée et d’avoir maintenu Christine Angot déjà récompensée par le prix Médicis ! L’auteur de
Paris-Brest confirme avec éclat son talent stylistique et narratif dans un roman ancré dans l’époque et publié dans une maison (Minuit) qui fait honneur à la littérature depuis sa création.
- Jean-Claude Vantroyen - Le soir
Qui l’aura ?
Sorj Chalandon. Parce qu’il est temps d’honorer un des meilleurs écrivains français contemporains, qui ne cesse d’interroger, à partir de son expérience personnelle, le monde contemporain avec une formidable acuité, qui peut se traduire tantôt sur le mode féroce tantôt sur le mode émotionnel dans un style à la fois direct, efficace et esthétique.
Qui le mérite ?
Sorj Chalandon encore. Son dernier roman,
Enfant de salaud, est un tour de force, une espèce de prestidigitation, puisqu’il mêle le procès de Klaus Barbie, auquel il a réellement assisté en tant que journaliste, au dossier pénal de son père, menteur patenté, qui n’a jamais dit la moindre vérité à son fils, qui fut SS de pacotille, patriote d’occasion et résistant de composition pendant la guerre. Tour de force qui ne cède jamais à la facilité ni à l’ostentation. Qui révèle le combat permanent que l’auteur a dû mener depuis son enfance pour saisir l’image de celui qui a endossé des tas d’uniformes mais jamais celui de père. Et qui est un grand roman sur le mensonge et la traîtrise.
- Marianne Payot - L’Express
Qui l’aura ?
Le romancier sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour sa superbe fiction
La plus secrète mémoire des hommes, publié par Philippe Rey en coédition avec la petite maison d’édition sénégalaise Jimsaan. Cent ans après le Goncourt du Guyanais René Maran pour
Batouala, les Dix de chez Drouant s’enorgueilliraient de couronner la révélation de cette rentrée littéraire, preuve éclatante de la vitalité et de l’universalité de la langue française.
Qui le mérite ?
C’est compliqué. Cette année, les quatre romans finalistes sont de très belle qualité, et leurs auteurs, tous dignes du Goncourt… Mais il faut bien trancher, alors, oui, le trentenaire Sarr mérite amplement le Graal, tant son récit fleuve, à l’ironie pétulante, est un joyau de savoir-faire, qui vous enchante, vous transporte et vous poursuit. L’auteur se fait ici conteur, mais aussi historien, philosophe, sociologue de la littérature… c’est dire la richesse du personnage.
Qui l'aura ?
J'espère que ce sera Mohamed Mbougar Sarr qui, à 31 ans, ne cesse livre après livre de montrer l'étendue de son talent. Un auteur, déjà remarqué à l'étranger, que le Goncourt aurait tout intérêt à couronner et à mettre en lumière la vitalité narrative et stylistique de cet écrivain riche de plusieurs cultures.
Qui le mérite ?
Mohamed Mbougar Sarr sans hésitation ! Avec
La plus secrète mémoire des hommes il écrit un chef d'œuvre qui touche à la question même de la littérature : pourquoi écrit-t-on et comment ? Comment les jurés qui sont écrivains pourraient-ils résister à ce grand texte ?
- Nicolas Carreau - Europe 1
Qui l’aura ?
Mohammed Mbougar Sarr. Peut-être que le jury aurait décerné le prix à Christine Angot, mais elle a emporté le Médicis. Ce sera donc le jeune écrivain brillant qui a trusté cette rentrée. Ou Christine Angot si le jury veut montrer son indépendance totale. Mais la théorie est fragile.
Qui le mérite ?
Maria Pourchet. C’était le moment et le Goncourt parfait, exigeant et romanesque. Elle a déferlé sur la rentrée avec son livre flamboyant. Dommage.
Qui l’aura ?
Je l’ignore.
Qui le mérite ?
Même si elle a déjà reçu le Médicis, pourquoi ne pas faire de Christine Angot l’autrice majeure de cette rentrée littéraire en lui attribuant aussi le Goncourt ?
Le voyage dans l’Est, son livre âpre et puissant, le mérite. Et cela viendrait en quelque sorte réparer les trois décennies durant lesquelles les jurys des grands prix ont ignoré son œuvre capitale.
- Pierre Vavasseur – Le Parisien Week end
Qui l’aura ?
Sorj Chalandon. Parce que ce roman vrai, et donc vrai roman, est d'une force indéniable, provoque un saisissement unique, et est tout à fait propre à se décalquer sur notre si fragile époque. Mais aussi pour cette écriture chalandonienne qui creuse, qui fouille, qui remue, sans se départir d'une naturelle simplicité.
Qui le mérite ?
Christine Angot. Pour ce livre implacablement tranchant qui couronne un travail obstiné à écrire en coupe. A la chignole.