Livres Hebdo : En quoi la propagation de l'intelligence artificielle menace l'activité du traducteur littéraire ?

Jonathan Seror : Le recours à l'IA générative risquerait d'abord d'impacter les conditions d'exercice des traducteurs littéraires. La promotion d'un prétendu gain de temps, assorti d'une réduction des coûts grâce à l'IA, entraînerait, de facto, une diminution de la rémunération du traducteur et des délais toujours plus serrés. Il ne s'agirait d'ailleurs plus du même métier, puisque le traducteur ne traduirait plus la version originale d'un texte mais ferait de la post-édition, c'est-à-dire qu'il « réviserait » une pré-traduction. Ce qui ne serait pas sans conséquences sur le statut du traducteur, lequel risquerait de perdre sa qualité d'auteur, devenant prestataire de services dépouillé de droits d'auteur. À cela s'ajoute un risque d'erreur ou de plagiat induit par la machine et dont la responsabilité incomberait au traducteur.

Le travail du traducteur serait donc sous-évalué ?

Un traducteur d'édition s'approprie la version originale d'une œuvre pour exprimer sa créativité lors de la traduction. C'est cela qui fait de lui un auteur, à l'inverse de la machine. Il faut bien comprendre que l'IA ne traduit pas. Elle se contente de reproduire sur une base statistique des traductions préexistantes et potentiellement protégées par le droit d'auteur. Sur le plan littéraire, on prend le risque d'obtenir un contenu appauvri, dénué d'humour, de jeux de mots, de références culturelles... D'un point de vue artistique, l'absence de recherche et l'uniformisation des traductions présentent un réel danger pour les lecteurs.

Quelles sont les pistes de réflexion pour mieux protéger le statut juridique des traducteurs littéraires ?

Nous défendons le principe selon lequel les éditeurs ne devraient pas utiliser l'IA pour traduire la littérature étrangère. Les agents et éditeurs étrangers cédant les droits de traduction aux éditeurs français pourraient d'ailleurs imposer de recourir à un traducteur humain, dans le but de préserver les droits moraux de l'auteur. À ce jour, aucun éditeur français n'affirme officiellement utiliser la traduction automatique. Pourtant, l'enquête de l'ATLF réalisée en décembre 2022 a montré que 9 % des traducteurs interrogés ont déjà réalisé un travail de post-édition. Dans ce cas, que nous espérons marginal, l'ATLF et l'ensemble des organisations d'auteurs demandent une transparence totale pour les produits générés par une machine. À ce sujet, il paraît également nécessaire d'indiquer quelles sont les œuvres qui ont nourri la machine. Nous estimons aussi que les aides publiques accordées aux éditeurs devraient être conditionnées à un non-recours à l'IA. Dans ce contexte, nous suivons de près la proposition de règlement européen ainsi que les initiatives françaises. E. C.

03.11 2023

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