La toute jeune Cécile Coulon (24 ans), découverte grâce à Viviane Hamy en 2010 avec Méfiez-vous des enfants sages, suivi en 2012 par Le roi n’a pas sommeil (tous deux repris en Points) et en 2013 par Le rire du grand blessé, un roman d’anticipation, revient avec deux nouveautés : un quatrième roman et un récit accueilli dans la collection "Raconter la vie", au Seuil, où elle évoque l’enfance et l’adolescence dans son Massif central natal.
Disons tout de suite que mentionner sa jeunesse n’est pas totalement pertinent car une lecture à l’aveugle ne renseignerait que difficilement sur son âge. La "jeune" femme est déjà une écrivaine aguerrie comme en témoigne ce Cœur du pélican où s’épanouit une fois encore ce plaisir, qui semble chez elle naturel, de raconter des histoires, la foulée fluidement déroulée de ceux qui font confiance à leur imaginaire pour inventer des vies entières.
Voici celles de l’athlète déchu Anthime - espoir de la course à pied, détecté adolescent par le gros Brice, après avoir terminé second à un cross départemental - de sa sœur Helena, de son amoureuse fantasmée Béatrice, de Joanna qui deviendra sa femme et ouvre le roman par un monologue de dépit alors que son mari a quitté le domicile conjugal et disparu des écrans radars.
Pour la première fois, l’écrivaine qui avait situé ses deux premières fictions aux Etats-Unis installe ses personnages dans un décor de province française. Cadre familier qui relie un peu le roman aux Grandes villes n’existent pas, un court récit qui frappe par l’acuité du regard, aiguisé mais affectueux que Cécile Coulon porte sur la campagne où elle a grandi. Car son Wyoming à elle, c’est le village du centre de la France où elle a vécu avant de partir faire des études de lettres à Clermont-Ferrand. L’une de ces 26 000 communes de moins de 1 000 habitants, "des lieux dont on ne parle jamais". On pense à Marie-Hélène Lafon qui a décrit ces mêmes zones blanches des cartes mais le pays de Cécile Coulon - et là peut-être l’âge prend un sens - est celui de la fin des années 1990. C’est donc une vision très contemporaine qu’elle donne de ces "endroits trop éloignés des grandes cités pour être appelés "banlieues" par les experts, et pas assez désertés pour être considérés comme des "zones rurales"".
L’écrivaine démonte les clichés qu’elle liste au début du livre, montrant la méconnaissance, l’indifférence et le mépris mélangés qu’ils dénotent. Ainsi reformule-t-elle, dans une ferme mise au point, la façon dont nous fonde "le lieu où nous sommes nés, cette cage familière, sans barreaux pour nous permettre d’en sortir quand bon nous semble, de nous en éloigner, et d’y revenir sans peur". Forte de ce paysage primitif, Cécile Coulon est bien armée pour tailler la route.
Véronique Rossignol