" Aujourd'hui ce n'est plus la terreur qui est inconcevable, cette terreur qu'Isabelle Stengers [...] nomme "a barbarie qui vient". Les choses impossibles, improbables, adviennent. Surtout les pires. Ce qui nous semble inconcevable, c'est l'utopie ", écrit Alice Carabédian dans son Utopie radicale, parue en mars denier au Seuil. Dans cet essai, la philosophe développe une réflexion qui replace l'utopie politique dans les imaginaires de la science-fiction, invitant à " rêver d'autres mondes ".
Si Alice Carabédian reconnaît la pertinence de s'organiser en collectif et en autonomie, comme le préconisent certains textes SF - parmi lesquels les auteurs de la maison La Volte, comme Alain Damasio ou Sabrina Calvo -, elle déplore aussi le risque du manque d'horizons de ces démarches (encore si peu nombreuses), et celui de se " satisfaire des miettes et des marges concédées par le Grand Capital ". La philosophe propose d'aller " par-delà l'imaginaire des cabanes et des ruines " en bâtissant, justement par le biais d'imaginaires de science-fiction, des récits et des univers qui feraient œuvre de boîtes à outils pour façonner le réel.
Une " boîte à outils ", c'est exactement ainsi que Damasio qualifie Les furtifs, dans lequel il imagine la survivance d'îlots autonomes dans un monde envahi par les grandes entreprises fondues de transhumanisme et de contrôle social. Mathias Echenay, fondateur de La Volte, revient sur l'un de ses derniers succès, écrit par l'autrice Sabrina Calvo : " Melmoth furieux décrit la façon dont on vit en communauté dans cette nouvelle commune de Paris. Ce n'est ni un programme ni véritablement une utopie, c'est une exploration d'autres manières de faire pour nous montrer que l'on n'est pas condamné à vivre le futur unique "gafamisé" qu'on nous sert. " Sabrina Calvo comme Alain Damasio font d'ailleurs partie d'un collectif d'écrivains de SF, les Zanzibar, dont le manifeste décrit assez clairement son intention : " Nous rêvons nos textes comme des endroits où se rencontrer, où penser et commencer à désincarcérer le futur. "