FIBD 2025

À Angoulême, l'exposition « Plus loin » offre une plongée inédite dans 40 ans de BD de science-fiction

L'exposition "Plus loin - La nouvelle science-fiction" est disponible du 30 janvier au 16 novembre 2025. - Photo EC

À Angoulême, l'exposition « Plus loin » offre une plongée inédite dans 40 ans de BD de science-fiction

Inaugurée mercredi 29 janvier, pour l’ouverture de la 52e édition du festival international de la bande dessinée d’Angoulême, l’exposition « Plus loin. La nouvelle science-fiction » brosse près d’un demi-siècle d’un genre constamment renouvelé.

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Par Élodie Carreira
Créé le 30.01.2025 à 13h49 ,
Mis à jour le 30.01.2025 à 18h11

Après plus de trois décennies de création, la bande dessinée de science-fiction reçoit enfin les honneurs qu’elle mérite. Inaugurée mercredi 29 janvier à la Cité internationale de la BD d’Angoulême, l’exposition « Plus loin. La nouvelle science-fiction » consacre au genre un espace de 400 m2 dans lequel se déploie une création francophone qui a su briller à l’international et qui continue d’œuvrer en s’adaptant aux évolutions politiques et sociétales qui font sa substance.

« C’est un peu une journée historique. C’est la première fois qu’il y a une exposition d’ampleur sur la BD SF en France », s’est ému Lloyd Chéry, créateur du podcast C'est plus que de la SF et commissaire de l’exposition aux côtés de Julie Sicault Maillé. Et pour cause, des premières têtes d’affiche du segment, portées par le magazine Métal Hurlant, aux créations hybrides de la nouvelle génération, « Plus loin » déroule avec générosité près d’un demi-siècle d’histoire de la BD francophone de science-fiction.

Précurseurs des vaisseaux spatiaux

« Nous avons voulu saluer le travail de nombreux artistes, c’est pourquoi vous trouverez plus d’une centaine d’entre eux et pas moins de 300 planches », a poursuivi Lloyd Chéry. Mais pour comprendre les nouvelles formes, narratives et graphiques, que revêt la science-fiction, il faut naturellement revenir à sa source.

Contrairement à son intitulé « la nouvelle science-fiction », l’exposition a donc réservé, dès son ouverture, une place de choix aux précurseurs de la BD SF francophone : Philippe Druillet, auteur des aventures de Lone Sloane, Jean-Claude Mézières, créateur du personnage de Valérian, cet agent spatio-temporel toujours flanqué de son acolyte Laureline, ou encore Moebius, dont la veuve, Isabelle Giraud, s’est spécialement déplacée pour présenter l’inédit Arzak : Destination Tassili - Corpus Final.

Métal Hurlant
Créé en 1975 par les Humanoïdes associés, sous l'impulsion de Jean-Pierre Dionnet, le magazine "Métal Hurlant" a inspiré de nombreux créateurs, jusqu'à l'international.- Photo EC

« Pour nous, Jean-Claude Mézières est un auteur incontournable. C’est l'un des premiers à avoir fait de la BD SF en France, à une époque où le genre n’était pas tellement populaire, et son œuvre parle aussi bien aux adultes qu’aux enfants et aux ados », a argué Julie Sicault Maillé. À l’instar de son confrère Jean-Claude Forest, auteur des Naufragés du temps, Jean-Claude Mézières avait notamment signé plusieurs planches dans Pilote, célèbre magazine de bande dessinée qui, avec Charlie Mensuel et un peu plus tard Métal Hurlant, s’est imposé, à l’époque, comme un espace alternatif propice à l’expérimentation.

L'âge d'or du genre

« Les années 1980 ont été un grand moment pour la BD SF francophone », abonde Vincent Petit, éditeur chez Casterman, interrogé en amont par Livres Hebdo. Soulignant le rôle joué par la culture américaine populaire, l’éditeur a volontiers cité, en guise d’exemple, l’arrivée de Benoît Peeters et de François Schuiten, pères de la série Les Cités obscures, au catalogue de Casterman.

Au même moment, Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette faisait également son apparition. Basé sur un univers post-apocalyptique, le titre a connu un succès mondial qui continue de survivre au temps. En témoignent ses deux adaptations sur grand écran, en 2013 et 2018. Ce succès sans âge, l’illustrateur Enki Bilal en bénéficie aussi. Connu pour ses nombreuses œuvres de science-fiction dont la trilogie Nikopol (1980), l’Exterminateur 17 (Humanoïdes associés, 1979) ou encore La Tétralogie du Monstre (1998), il continue de faire voir son talent avec des séries comme Coup de sang (2009-2014) ou Bug (2017-2022), toutes deux mises en lumière au cours de l’exposition.

Enki Bilal
Planches d'Enki Bilal, auteur de la série "Bug" (Casterman)- Photo EC

C’est d’ailleurs à l’issue de cette rétrospective que les deux commissaires situent le virage phare de la BD SF vers une « nouvelle science-fiction ». Au crépuscule des années 1980, la fin de la première version de Métal Hurlant, qui fête aujourd’hui ses 50 ans d’immortalité, donne à certains éditeurs l’envie de maintenir en vie un genre dynamique, créatif et dont les frontières sont poreuses avec les autres grands arts tels que la littérature et le cinéma.

La nouvelle science-fiction

C’est à ce moment que Delcourt s'impose comme le chef de file éditorial de la BD SF francophone. D’abord avec la série Aquablue (dont le premier album a paru en 1988), réalisée par Thierry Cailleteau et Olivier Vatine, et qui ouvre pour les artistes de bande dessinée de nouvelles perspectives. Puis avec le label « Série B », imaginé par Vatine et Fred Blanchard au milieu des années 1990. « La BD a toujours été un pilier du catalogue », nous assure à son tour Thierry Joor, éditeur depuis 27 ans aux côtés de Guy Delcourt.

Aujourd’hui, la maison continue d’investir dans la BD SF, notamment avec le label « Neopolis », qui poursuit la publication d’Aquablue, et s’illustre désormais avec des séries-phénomènes parmi lesquelles Travis, Sillage, Golden City, ou encore La Horde du contrevent, inspirée de l'univers d'Alain Damasio. « La SF a toujours fasciné les éditeurs comme les amateurs de BD. Elle a cette particularité de revendiquer des sujets perpétuellement d’actualité », observe Thierry Joor, précisant que la BD SF représente, actuellement, environ 8 % du chiffre d’affaires total de Delcourt.

Expo BD SF Angoulême
La scénographie de l'exposition a été conçue par Mathilde Meignan.- Photo EC

Également sollicitée, Nadia Giebert, responsable éditoriale actuelle de Rue de Sèvres, qui a repris le label 619 initié par RUN, constate néanmoins un renouvellement du genre. « On a connu la BD SF traditionnelle, mais depuis quelques années, celle-ci prend des formes, des trajectoires différentes. Il me semble qu’elle s’est élargie », détaille-t-elle. Et pour cause, historiquement, si le « space opera », sous-genre consacré au voyage dans l’espace, ou le post-apocalyptique n’ont pas disparu, d’autres, à l’instar du « planet opera » ou du « cyberpunk » ont introduit de nouvelles réflexions. Conquête comme forme de colonisation, rapport à l’autre et au vivant, ville du futur... de nouveaux espaces de projection ont émergé.

« Il y a un affranchissement des codes de la BD »

Parmi ces derniers, on trouve aussi l’uchronie, porté par le genre hybridé du « steampunk ». Technologies anachroniques, inventions rétro-futuristes, des artistes comme Alex Alice (Le Château des étoiles, Rue de Sèvres) ou Xavier Coste (1984, Sarbacane) jouent d’une confusion temporelle. D’autres, à l’instar de Yann Legendre (Flesh Empire, Casterman), Jaouen Salaün (Elecboy, Dargaud), Ugo Bienvenu (Le journal de Mikki, Denoël Graphic) ou encore Aseyn (Bolchoi Arena, Delcourt) s’inspirent de la croissance des technologies, de l’avènement de l’intelligence artificielle, pour imaginer des futurs peuplés de créatures artificielles, voire transhumaines.

Yann Legendre
Planches de Yann Legendre, auteur de "Flesh Empire"- Photo EC

« J’ai aussi l’impression que les auteurs et autrices, aujourd’hui, sont plus engagés. Par le prisme de la SF, ils observent la société contemporaine et ce qu’elle pourrait donner demain. D’une certaine façon, c’était quelque chose de déjà fait avant, si on pense à Chantal dans les années 1980, mais il y a désormais un affranchissement des codes de la BD, un renouvellement des formats et un pas assumé vers le roman graphique », reprend Julie Sicault Maillé.

Une nouvelle génération engagée

Un constat partagé par Nadia Gibert qui voit chez certains de ses auteurs, à l’instar de Guillaume Singelin, auteur de Frontier (Label 619), une préoccupation grandissante pour l’écologie. Et Vincent Petit, chez Casterman, d’abonder : « Là où il y a quarante ans, la SF écolo était rarissime, elle est désormais un sujet prépondérant. Les projections autour de la technologie sont moins présentes. On leur préfère les évolutions sociales, politiques, les questions de gouvernance ou encore de réalisation personnelle ».

Ugo Bienvenu
Avec "Préférence système" (2019, Denoël Graphic), Ugo Bienvenu livre une vision inquiétante de l'altération de la mémoire artificielle.- Photo EC

Ainsi, Clovd de Florent Maudoux (Label 619) pose la question des effets d’une société compartimentée pour mieux interroger le vivre-ensemble tandis que Shangri-La de Mathieu Bablet (Ankama) questionne le spécisme et pointe du doigt les discriminations ordinaires envers les minorités sociales. Autant de thématiques dont se sont également emparées une nouvelle génération d’autrices que l’on n’espérait plus. « Les autrices ont des choses à dire, elles amènent de vrais points de vue, quelque chose qui change peu à peu le marché », indique Vincent Petit.

Et les commissaires de l’exposition ne les ont pas oubliées : Elizabeth Holleville effleure homosexualité, transidentité, et épingle l’extraction de minerai radioactif dans Immonde ! (Glénat), Aurélie Crop (La fleur d’Olène, Métal Hurlant), imagine une longévité humaine démesurée dans une société où la conception des enfants ne se fait plus que par PMA, Julie Michelin (Eksploracja, L’employé du moi), imagine un univers en proie à une disparition dématérialisée, tandis que Léa Murawiec (Le Grand vide, Editions 2024), propose une fable vertigineuse où l’humain doit se faire connaître des autres le plus possible, s’il ne veut pas disparaître. Une chose est certaine, la relève, fidèle aux classiques ou résolument moderne, est assurée.

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