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Raphaëlle Bats : "Penser la bibliothèque comme un élément politique"

Photo olivier dion

Raphaëlle Bats : "Penser la bibliothèque comme un élément politique"

La première Française à prendre la tête de l’Association internationale francophone des bibliothécaires et documentalistes veut impulser une nouvelle dynamique à l’organisation, fragilisée par le décès soudain de sa présidente il y a deux ans. Elle plaide pour des établissements mieux en prise avec la culture et l’histoire.

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Par Michel Puche
avec Créé le 13.10.2017 à 01h42

Elue à la présidence de l’Association internationale francophone des bibliothécaires et documentalistes (AIFBD) lors du dernier congrès de l’association, en août à Sierre (Suisse), Raphaëlle Bats est la première Française à accéder à ce poste depuis la création de l’association en 2008. Elle entend poursuivre la réorganisation qu’elle avait impulsée en tant que membre du conseil d’administration, fondée sur la création au sein de l’AIFBD de commissions thématiques, comme c’est le cas à l’Ifla, la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques, ou encore à l’Association des bibliothécaires de France (ABF).

En moins d’un an, l’AIFBD a réussi à fédérer les énergies pour mettre sur pied six commissions, opérationnelles depuis le mois de juillet : visibilité des bibliothèques et de la documentation ; préservation et conservation dans les bibliothèques francophones ; éthique ; communication ; formation ; universités et écoles en sciences des bibliothèques et de l’information francophones. L’objectif est de remobiliser les adhérents et de les inciter à s’impliquer plus fortement dans l’association.

Remobilisation

"Une association doit être directement utile à ses membres et produire les informations dont ils ont besoin. Les commissions permettent aux adhérents de s’investir dans un domaine précis et de voir très concrètement ce qu’ils peuvent apporter à l’association, explique la jeune conservatrice des bibliothèques, qui était jusqu’en août responsable des relations internationales à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib). Une association n’est forte que de ses membres, elle ne peut pas fonctionner uniquement sur les idées et le travail des quelques personnes qui siègent au conseil d’administration." Les membres du CA ont, eux, la charge d’un dossier spécifique, tel que les partenariats, la communication, la traduction ou encore la recherche de financement.

Cette remobilisation est indispensable pour une association durement touchée par le décès, en novembre 2015, de sa présidente, Danielle Mincio, et qui semblait depuis en perte de vitesse. Certains observateurs avaient même commencé à douter du bien-fondé de son existence. "L’association a connu un moment difficile, reconnaît Raphaëlle Bats. Danielle était une figure reconnue au niveau international, qui s’est beaucoup engagée pour la documentation et la préservation. Sa disparition un an après son élection et le lancement de son plan d’action a été très dure. L’association a pu sembler être au creux de la vague, mais c’est parce qu’on cherchait des solutions. Elle est maintenant en train de se relever. La nouvelle organisation a déjà convaincu plusieurs professionnels de reprendre à nouveau leur adhésion."

L’articulation entre l’AIFBD et le Comité français international bibliothèques et documentation (CFIBD), la branche française de l’Ifla, sur laquelle les bibliothécaires s’interrogent régulièrement, est claire pour la nouvelle présidente. "Je suis également membre du conseil d’administration du CFIBD, donc le dialogue est facile, sourit la jeune professionnelle. Les deux institutions œuvrent pour la francophonie mais avec chacune un positionnement différent. Le CFIBD est d’abord français et mène un grand travail de sensibilisation pour inciter les bibliothécaires français, puis francophones, à s’engager dans les instances internationales comme l’Ifla. L’AIFBD est, elle, totalement internationale. Nous avons déjà collaboré ensemble, notamment pour l’attribution de bourses permettant à des collègues de participer aux congrès mondiaux. Nous allons réfléchir à d’autres collaborations."

Menaces sur l’Afrique

L’association restructurée va poursuivre ses missions fondamentales : renforcer la présence francophone dans un environnement documentaire international largement dominé par l’anglais, développer la coopération entre toutes les régions du monde, œuvrer pour la préservation des fonds de langue française menacés, en particulier en Afrique. Ce dernier sujet tient particulièrement à cœur à la nouvelle présidente. "Il faut travailler au développement des compétences des collègues africains et les aider dans la conservation de leur patrimoine documentaire, souligne-t-elle. Certains professionnels mettent déjà en œuvre des projets ambitieux, malgré le manque de moyens. En Afrique, de nombreux fonds sont en danger. Quand c’est trop tard, comme en Somalie, où ce patrimoine a entièrement été détruit dans les années 1990 pendant la guerre, il faut réfléchir à la manière de le reconstituer. La Somalie est une ancienne colonie, les documents disparus existent sans doute dans des archives ailleurs dans le monde. On peut recourir au numérique pour reconstruire la mémoire. Mais il faudrait surtout réfléchir en amont à la représentation de la bibliothèque qu’on doit créer afin qu’elle ne soit pas une cible détruite à chaque conflit. En Somalie, la population a pillé la bibliothèque nationale. L’Institut d’Egypte du Caire a été détruit, mais les habitants ont fait une chaîne humaine pour protéger la bibliothèque d’Alexandrie. Pourquoi ? Ce qui est en jeu, ce sont les représentations du pouvoir. Cela touche à des enjeux fondamentaux."

Théoriciens et praticiens

Explorer cette dimension politique est essentiel pour Raphaëlle Bats, qui y consacre la thèse qu’elle mène actuellement à l’université Paris-Diderot sous la direction du sociologue Denis Merklen, auteur de l’ouvrage Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? paru en 2013 aux Presses de l’Enssib. "Il faut penser la bibliothèque comme un élément politique en prise avec la culture, avec l’histoire. Elle n’est pas neutre, et le bibliothécaire doit avoir conscience de ce dont il hérite quand il arrive dans un établissement. En France, je crois qu’on a perdu de vue l’histoire de nos bibliothèques. Combien de professionnels se réfèrent encore à Eugène Morel, savent ce qu’il a apporté à notre profession, sont en mesure de se penser dans l’évolution de leur métier? Je comprends que tous les bibliothécaires ne se consacrent pas à cette réflexion mais il y a des articles, des livres sur le sujet. Il faudrait plus de lien entre les théoriciens et les praticiens, et que cela ne soit pas deux mondes parallèles. Il faut comprendre d’où on vient pour savoir où l’on va. Sinon, on se heurte à des murs qu’on ne comprend pas, comme lorsque des bibliothèques sont brûlées."

13.10 2017

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