Édition

Rééditer et retraduire les classiques, une incessante entreprise

Mark Twain, Jane Austen, J.R.R Tolkien, Racine, Sand, de nombreux auteurs classiques vont être réédités et/ou retraduits - Photo Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Rééditer et retraduire les classiques, une incessante entreprise

Simple toilettage ou nouvel écrin, parti pris éditorial ou bienveillante synthèse pour le grand public : chaque éditeur motive son entreprise de réédition et/ou de retraduction des « classiques » à sa façon. Cet automne, nombre d'entre eux débarquent en librairie, attirant le lecteur et résonnant toujours dans l'air du temps. Petit tour d'horizon. 

J’achète l’article 1.5 €

Par Adriano Tiniscopa
Créé le 24.10.2023 à 15h52 ,
Mis à jour le 26.10.2023 à 14h35

Au vu des nombreuses rééditions et retraductions de classiques à paraître en cet automne 2023, l'appétit des éditeurs en la matière semble toujours aussi aiguisé, avec la certitude que ces ouvrages trouvent toujours leur lectorat. À côté de l'édition parascolaire et des publications scientifiques et érudites, à l'image des Œuvres complètes chez Gallimard ou de la « Collection des universités de France » aux Belles Lettres, coexistent des maisons grand public qui se (re)lancent dans des projets de réédition et de retraduction des textes classiques.

« Convoquer les textes anciens pour mieux parler de l'actualité », c'est avec cette idée en tête que le directeur éditorial de Libella, Éric Lahirigoyen, a lancé chez Phébus la retraduction « intégrale, complète et inédite » d'Histoire d’Arthur Gordon Pym de Nantucket suivi de Julius Rodman d'Edgar Allan Poe (parue le 5 octobre). « Les versions courantes des textes étaient celles de Charles Baudelaire », rappelle le directeur éditorial, une traduction presque intouchable jusqu'alors. Les traducteurs Christian Garcin et Thierry Gillybœuf ont repris principalement le vocabulaire et les concordances des temps du texte qu'ils considéraient comme n'étant plus en usage aujourd'hui. L'ouvrage est aussi augmenté d'un riche appareil de 282 notes explicatives. Faute d'une traduction trop littéraire, parcellaire ou de passages tout simplement censurés et retirés, la substantifique moelle de certains ouvrages patrimoniaux n'a jamais pu être entièrement révélée.

Pour les éditions Tristram, « le génie du texte de Mark Twain n'a jamais été complètement décelé », selon les mots de son cofondateur Jean-Hubert Gailliot. La maison a fait paraître le 12 octobre une retraduction des Aventures de Tom Sawyer et des Aventures de Huckleberry Finn, établie par Bernard Hoepffner – les livres ont été tirés à 5 000 exemplaires. L'éditeur gersois les avait déjà publiés en 2008, et écoulés depuis à plus de 25 000 exemplaires. « Bernard Hoepffner a fait un travail de mise à jour des références en conservant le phrasé très oral des personnages, et surtout en traduisant le terme “nigger”, l'esclave noir, par “nègre” , parfois traduit dans certaines éditions simplement par “esclave” », poursuit en détaillant l'éditeur. Ces deux derniers livres sont augmentés de préfaces de Hervé Le Tellier et François Busnel, qui dressent le portrait d'un Mark Twain abolitionniste et antiraciste, défendant le choix éditorial de conserver le « N word » à un moment où l'intérêt des « sensitivity readers » fait débat en France.

Porter un regard contemporain

L'établissement d'une nouvelle traduction permet également, avec sa préface et/ou postface ainsi que ses notes, de mettre un coup de projecteur sur des aspects méconnus de la plume d'un auteur. Les écrits de Jane Austen, par exemple, rangés dans la case de la littérature pour adolescents, sont souvent préfacés de manière à mettre en avant le côté éducatif. Du côté des éditions Baribal, c'est l'aspect féministe de l'œuvre qui a plutôt intéressé. « La perception de la littérature de Jane Austen en France n'est pas conforme par rapport à ce qu'elle contient réellement », estime Phalène de La Valette, journaliste et directrice de la collection « Jane », nouveau fonds de « romans à l'esprit austinien » chez Baribal. Et comme souvent, les retraductions reposent sur la personnalité d'un passeur.

Pour retraduire Emma de Jane Austen (à paraître le 18 octobre, tiré à 5 000 exemplaires), Baribal a misé sur la romancière et traductrice Clémentine Beauvais. Elle a conservé les traits caractéristiques du texte anglais, notamment la ponctuation faite de tirets. Le parti pris éditorial a surtout été de « montrer l'humour, la vivacité, l'esprit du texte de l'autrice anglaise qui est un regard sur l'humanité mais aussi une critique de la condition féminine de l'époque », considère Phalène de La Valette. L'entreprise de retraduction, qu'elle soit pour grand public ou scientifique, est communément animée par la volonté de considérer les écrits patrimoniaux sous un nouvel aspect, de les contemporéaniser. En rééditant le tome 2 des Œuvres complètes de Descartes (Gallimard, 16 novembre), le philosophe Denis Kambouchner espère aussi « changer l'image de Descartes ». L'ouvrage comprend ainsi une partie inédite en français de son travail d'anatomiste et biologiste.

Des versions vulgarisées moins intimidantes

Sans prétention scientifique, d'autres maisons d'édition s'emparent d'ouvrages classiques à des fins de démocratisation. La collection « Osez (re)lire » chez Flammarion, lancée en 2022, défend le parti pris de l'accessibilité : économiquement comme culturellement. Des titres sont à prévoir en janvier 2024 sur Germaine de Staël, Jean Racine, Jean-Jacques Rousseau, George Sand, William Shakespeare et Jules Verne. Chaque ouvrage, tiré entre 3 000 et 4 000 exemplaires, concentre une trentaine d'extraits composant l'essentiel de l'auteur, chacun introduit par des textes explicatifs signés par des spécialistes. Pour Pauline Kipfer, la directrice éditoriale du département Poche/Savoir de Flammarion : « Les classiques se vendent toujours et ne cessent d’être lus et relus par les lecteurs lambdas, les critiques et spécialistes. Il ne faut pas arrêter de les rééditer. »

Parfois le vent tourne en faveur de certains auteurs ou de leurs ouvrages. Les éditeurs se lancent alors dans la réédition de manière opportune. Par exemple, à l'occasion des 100 ans de la mort de Franz Kafka, Flammarion rééditera La Métamorphose, Le Procès et Le Château. Du côté de Christian Bourgois, la réédition intégrale (19 octobre) du mythique Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien se marie avec un double cinquantenaire : celui de la première publication complète de l’intégrale du Seigneur des anneaux en 1973 – année également de la mort de l'écrivain, philologue et professeur britannique. Intégralement recorrigée et enrichie de règles typographiques harmonisées, cette nouvelle édition du Seigneur des anneaux s'imposera peut-être comme la traduction de référence... Jusqu'à ce qu'une autre ne vienne lui succéder.

Les dernières
actualités