De part et d'autre d'une large avenue en travaux, se dressent des tours d'HLM et des bâtiments flambant neuf - un conservatoire de musiques actuelles et de danse, une librairie coopérative, un pôle associatif devant lequel des enfants d'origine africaine réparent leur vélo sous les conseils d'un animateur. En marchant sur les trottoirs, on entend de multiples langues. Plus d'une quarantaine est recensée dans ce quartier populaire du Blosne, à Rennes. Voilà dix ans qu'il est en chantier. Et il y a dix ans, des travaux rendaient la médiathèque plus lumineuse. Construite en 1985 sous la supervision d'un collège d'habitants, elle était alors de loin la plus grande bibliothèque de la ville : 900 m2. « Dans le quartier, la bibliothèque est le lieu le plus identifié par les habitants. Quand je leur parle d'un événement, ils me disent "c'est là où il y a la médiathèque ?" », s'amuse un coordinateur des ateliers du Triangle, le centre culturel et sportif où elle est située, avec studios de danse, une salle de spectacle et une halle ouverte sur un parc. Le week-end, s'y tiennent des barbecues géants. La face moins reluisante du quartier : le trafic de drogue, qui parfois lieu à des règlements de compte armés. Mais « la médiathèque est sanctuarisée », avance de sa douceur caractéristique la responsable des lieux, Aurelia Maggiore. Comme un temple. Mais populaire.Le coin jeux vidéo est l'abri de quatre jeunes Afghans, à raison d'une heure d'écran maximum par jour.
« Ce sont des habitués, ils habitent une tour à côté, glisse Aurélia. Le jeu - vidéo ou de société - est important pour tisser des liens. Il fait venir des personnes qui parfois prononcent leur premier mot de français en jouant. » L'association Langophonies investit souvent les lieux. Avec la bibliothèque et quinze partenaires, elle a rassemblé près de 150 personnes lors d'un après-midi lectures en farsi, persan, anglais, japonais, italien, arabe ou encore espagnol. « On voit de plus en plus de primo-arrivants et de familles monoparentales », observe Muriel Palacios, bibliothécaire ici depuis 2013.
Plusieurs membres de l'équipe ont demandé à venir ici pour la mixité sociale et culturelle des publics. « Des gens en situation de grande précarité, parfois des paumés... Et des profs de lettres, des retraités du quartier. Ça crée une richesse », avance l'un deux. On y rencontre aussi des musiciens cherchant des CD confidentiels parmi le fonds de 15 227 titres. L'ensemble des collections est en cours de requotation : on abandonne la classification décimale Dewey, « pour que le public se repère plus facilement », justifie Aurelia Maggiore. Autre projet en cours : réaménager le petit hall d'accueil. « Et ne pas choisir la facilité en mettant un espace presse ! » En attendant, des visiteurs s'installent autour des tables, et une chorale y a posé son piano électrique pour s'entraîner.
« Il y a un vrai vivre-ensemble. Des jeunes vont parler fort, des gens vont râler, mais il n'y a pas de tensions », sourit un bibliothécaire. La médiathèque n'a pas été touchée par les émeutes de l'été, « contrairement au conservatoire, qui a été caillassé. On fait partie des meubles. Les jeunes énervés du quartier sont venus ici gamins et ados. » Les ados, Anatole Audoin essaie de les vouvoyer au maximum. Le jeune bibliothécaire aux cheveux bleus est lui désigné, comme ses collègues, par un badge indiquant son prénom.
À l'étage, c'est l'espace des jeunes. « Tous les jours, des habitants me demandent d'acquérir tel ou tel roman. On essaie de répondre favorablement », témoigne la bibliothécaire jeunesse Virginia de Sousa, ici depuis six ans. L'équipe accueille les 80 classes du secteur. Au moment de notre venue, l'atelier sur les illusions d'optique est complet. « Ce sont des enfants du quartier », reconnaît Aurelia. Ils sont suspendus aux lèvres du charismatique David Sauvineau, le bibliothécaire qui anime cet atelier de vulgarisation en ayant appris chacun des dix prénoms. « Les ateliers qu'on fait ici, on peut les faire hors les murs », indique-t-il. Les bibliothécaires s'expriment aussi dans la radio locale, à travers leur nouveau podcast lancé à la rentrée. En attendant, on rencontre devant l'une des entrées extérieures de la médiathèque Rose, 21 ans, assise à écouter de la musique. La Néo-Calédonienne, arrivée dans la ville il y a trois mois, ignore l'existence de la bibli Triangle. « C'est bien de lire quand tu n'as pas de téléphone », reconnaît-elle en levant le nez de son mobile. Elle a tout de même lu tous les Naruto. Et se réjouit quand elle apprend que « la bibliothèque a des jeux vidéo ?! »