La "dernière image", explique Gani Jakupi, c'est "le Saint Graal de tout reporter-photographe ; celle qui vaincra la résistance du public blasé, qui a tout vu et ne s'émerveille plus de grand-chose". C'est la photo "la plus choquante, la plus inquiétante" ou "celle qui résume tout un événement, un destin, un phénomène". A défaut de la traquer lui-même, le dessinateur barcelonais d'origine kosovare, également écrivain et compositeur de jazz, s'est intéressé à ceux qui le font. C'était en 1999, à l'issue de la brève mais sanglante guerre du Kosovo. Un magazine espagnol lui avait demandé un reportage, avec un photographe, sur son retour au pays. Il relate aujourd'hui cette expérience qui se révèle douloureuse.
L'auteur des Amants de Sylvia (Futuropolis, 2010 ; voir LH 828, du 2.7.2010, p. 70) retrouve un pays largement délabré et abîmé par la guerre, dont la capitale, Pristina, paraît quasi abandonnée. Un pays dont les habitants sont dans la sidération, si ce n'est la folie après les affrontements entre les civils et paramilitaires serbes et la majorité albanaise, et plus encore les tortures et les massacres. Surtout, au contact de Domingo, le photo-reporter qui l'accompagne, et de ses confrères rencontrés sur place, il va de désillusion en désillusion. Gani Jakupi a beau dire que "si les lecteurs prennent conscience de la difficulté que représente le fait d'aller chercher l'information... et d'en revenir indemne, [il sera] amplement satisfait", son récit pointe d'abord les dérives édifiantes de la chasse au scoop, constituant finalement un hommage ambivalent.
Mais c'est cet entre-deux qui donne tout son prix à La dernière image. Posant avec la distance voulue une voix presque blanche sur des images froides qui font ressortir toute l'horreur des situations, Gani Jakupi signe un témoignage désabusé d'une rare puissance.