Six ans après Exit wounds, primé à Angoulême et Eisner Award du meilleur roman graphique, Rutu Modan revient en beauté avec La propriété, une plongée picaresque et décomplexée dans la mémoire et les secrets d’une famille israélienne d’origine polonaise. Au début des années 2000, alors que son père vient de mourir, Mika accompagne sa grand-mère à Varsovie, où les deux femmes espèrent récupérer une propriété dont la famille aurait été spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais dès leur arrivée en Pologne, la grand-mère adopte un comportement étrange et se montre particulièrement acariâtre. Brouillant les pistes, elle laisse Mika partir seule à la recherche de l’hypothétique propriété, tandis qu’elle-même suit sa propre voie sur les traces d’un passé enfoui. Un insupportable ami de la famille, rencontré dans l’avion de Tel-Aviv, ne cesse de leur mettre des bâtons dans les roues. Un jeune et charmant auteur de BD polonais, d’emblée amoureux de Mika et fasciné par la trajectoire de la grand-mère, apparaît au contraire fort opportunément en de multiples occasions. Nourris par les hésitations de la grand-mère, plus émue qu’elle ne voudrait le laisser paraître dans cette ville qui l’a vue naître mais qui a été complètement transformée, les quiproquos se multiplient. Rutu Modan ne lésine pas sur l’humour, assumant des situations absurdes et une hystérie omniprésente. Cette figure de proue de la bande dessinée israélienne manie avec une délicatesse et une légèreté étonnantes la mémoire des survivants de la Shoah et leurs lourds secrets de famille.
Fabrice Piault
