Diable d'homme ! Le terme n'est pas galvaudé concernant sir Richard Francis Burton (1821-1890). Érudit, insoumis, baroudeur, c'est le type même de l'excentrique britannique dans toute sa splendeur. Jean-Marie Blas de Roblès le rappelle dans son introduction qui fait office d'enthousiaste biographie. On comprend pourquoi un tel personnage qui rêvait en dix-sept langues et en parlait trente-cinq avait fasciné Borges, le bibliothécaire aveugle de Buenos Aires, le génial écrivain argentin qui distillait ses textes comme des labyrinthes dans lesquels les lecteurs se perdent avec délice. Ici, ce sont les notes − ces fameuses notes en bas de pages qu'on ne lit pas, que l'on a tort de ne pas lire car elles forment un sous-texte bien souvent plus sauvage que le texte lui-même − qui constituent la matière de cet essai ultime. Le texte en question, c'est celui des Mille et Une Nuits, un classique inclassable comme tous les classiques. Richard Burton en entreprend la traduction en dix volumes en 1885 après une vie de voyageur et de diplomate. Elle est dans un anglais un peu tarabiscoté, mais lisible par le plus grand nombre, y compris par sa femme Isabel, catholique fervente qui redoute toute obscénité de la part de son dissipé mari. Car lui ne voit que par les enfers. Il a donc, dans cet essai, lui, le premier traducteur anglais du Kâmasûtra, glissé tout ce qu'elle avait censuré − elle brûlera ses manuscrits après sa mort − et tout qu'il savait de la sexualité, des sévices et des coutumes arabes, la face pour ne pas dire la fesse cachée des Mille et Une Nuits. C'est ce « livre noir » que Jean-Marie Blas de Roblès a traduit avec beaucoup d'agilité. La saga orientale prend ici une saveur différente. « La grivoiserie et la grossièreté ne sont que les nuances d'une image qui autrement serait toute lumière. » Richard Burton se régale évidemment de livrer cela à la société victorienne rigide comme le bonnet à poils des foot guards. Il consacre ainsi une longue partie de son étude à ce qu'il nomme la « zone sotadique », le territoire de l'homosexualité. On peut voir dans ce livre un travail précurseur en matière d'anthropologie et même de psychanalyse. Avec ce mélange de malice et de savoir immense, entre récit, étude et fantaisie, Burton rassemble ici tout ce qui a fait sa vie, ses grands récits d'aventure, ses exploits et ses expériences de tout ce qui était interdit. L'érudition est une façon de voir le monde, dans sa complexité, dans son impossibilité aussi, tant on sait ce qu'il manque pour le comprendre. « Toute la splendeur et le sordide, la beauté et la laideur, le charme et le grotesque, la magie et le deuil, la bravoure et la bassesse de la vie orientale sont ici. » Nous sommes loin de la délicieuse version des contes traduits en français par Galland, auquel Burton rend hommage, mais plus près d'une réalité sur un Orient compliqué, mais pas forcément plus féroce que nos us et coutumes chrétiens du Moyen Âge. Des Mille et Une Nuits sur mesure pour un nouveau siècle. La classe, l'élégance, Burton of London...
Le livre noir des Mille et une nuits Édité et traduit de l'anglais par Jean-Marie Blas de Roblès
Le Cherche Midi
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 480 p.
ISBN: 9782749173931