Benjamin Law pourrait presque reprendre à son compte le fameux "Familles, je vous hais » de Gide. Il en aurait en tout cas le droit car, si on l'en croit, il a vécu une enfance et une jeunesse assez traumatisantes.
Rebaptisé Benjamin, il est né Yuk Nung, dans une famille d'immigrés chinois installés à Brisbane, l'une des villes les plus déprimantes et les plus torrides d'Australie, dans le Queensland. Ses parents ont fui Hongkong lors de l'annonce de la restitution du territoire à la Chine communiste. Même bien intégrés dans leur pays d'accueil - M. Law père a fait fortune avec ses restaurants -, ils demeurent des étrangers, toujours plus ou moins menacés d'hostilités. Certains de leurs proches, qu'ils avaient fait venir pour les rejoindre, en ont vécu l'amère expérience. La consigne, dans ces situations-là, est : "pas de vagues".
Benjamin, coincé entre deux aînés qui jouent les durs et deux soeurs cadettes infernales, a bien du mal à trouver son espace vital. Ecrasé par une mère castratrice, très "organique", qui lui rebat les oreilles de la fausse couche qu'elle a faite juste avant sa propre naissance. La séparation des parents sera aussi un choc.
Benjamin n'est pas "comme les autres". Gringalet fragile, freluquet mais doué, il préfère Mariah Carey à Nirvana, et les garçons aux filles. Et fera assez tôt son coming out. Aucun problème avec ses frères et soeurs, ni pour sa mère. Son père, en revanche, informé le dernier, aura du mal à l'admettre. Ce qui n'empêchera pas le garçon de mener sa vie de jeune gay, de rencontrer son petit ami, Scott, et même de jouer un temps les provocateurs à piercing. Il a aujourd'hui 30 ans, il écrit pour les principaux journaux de son pays des chroniques qui constituent la matière de ce premier livre, très bien accueilli par la critique. Les lois de la famille est plus un recueil d'anecdotes avec une trame romanesque, une suite de chroniques à la sauce aigre-douce, de rires cantonais plutôt grinçants, qu'un roman au sens propre. Son sujet, c'est Benjamin au sein de sa famille, jusqu'à la destruction de leur vieille maison devenue insalubre, détestée mais aussi regrettée parce qu'elle fut le berceau de leur enfance. C'est drôle, direct, décomplexé, parfois cru. Avec un ton qui rappelle David Sedaris, en plus exotique.