Paru en septembre dernier aux éditions Thierry Magnier, dans la collection L’Ardeur, le roman jeunesse Bien trop petit de l’auteur et traducteur Manu Causse, est, depuis le 17 juillet, interdit à la vente aux mineurs. Signé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’arrêté d’interdiction s’appuie sur la loi du 16 juillet 1949 sur les publications à destination de la jeunesse. Il considère que ce récit « constitue un contenu à caractère pornographique », présentant « un danger pour les mineurs qui pourraient l’acquérir ou le consulter ». Pour Manu Causse et son éditeur, l'intervention gouvernementale, qui n'est pas sans rappeler les attaques subies par Tous à poil ! On a chopé la puberté (Rouergue) en 2011, est interprétée comme une forme de censure.
Avez-vous été averti en amont de cette décision du ministère de l’Intérieur ?
Avec mon éditeur, nous avions reçu, il y a quelques mois, un avis de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, qui disait examiner Bien trop petit. D’après la commission, certains passages pouvaient, relativement à la loi de 1949, être jugés « à caractère pornographique ». Mais cette espèce d’avis de censure a complètement ignoré la distance critique de l’œuvre, la recommandation « à partir de 15 ans » affichée sur le livre, et la volonté de l’éditeur de sortir de représentations sexuelles presque dangereuses pour les adolescents.
On vous reproche notamment certaines scènes explicites de rapports sexuels, alors que l’ouvrage est destiné à la jeunesse.
Ces passages sont presque des pastiches. Ils décrivent des rapports sexuels écrits et imaginés par un ado qui reproduit ce qu’il a vu sur Internet. Ses fantasmes lui viennent de ce qu’il consomme, des forums qu’il a parcourus. Je me pose toujours des questions sur ce que je raconte aux jeunes lecteurs. Est-ce que c’est débordant, dangereux ? En tant que quinquagénaire blanc, cisgenre, j’ai un grand besoin de déconstruction. Avec mon éditrice, Charline Vanderpoorte, on a passé des heures sur un passage qu’elle trouvait appartenir à la culture du viol, donc nous l’avons changé. Il y a une vigilance éditoriale dans le détail. On a donc essayé d’éliminer un maximum de violence et de toxicité pour aller vers quelque chose de léger, de presque joyeux, visant à dépasser le traumatisme vécu par le héros.
Comprenez-vous cette action gouvernementale ?
Je comprends ce que dit le texte de la commission. On est d’ailleurs en train de réimprimer le livre avec une interdiction aux moins de 18 ans. Mais je suis très embêté parce que nous n’avons pas pu faire valoir nos arguments et que l’interdiction attaque la collection L’Ardeur dans son essence. C’est une façon de refuser de parler de la sexualité de façon positive. A l’inverse, le ministère ne surveille pas une énorme partie des ventes commerciales liées à certains genres, comme la dark romance, malgré des images sexuelles parfois machistes et violentes. Par exemple, il y a une grande surface à proximité de là où je me trouve qui met en libre-service un manga pour les 6 à 14 ans, décrivant un viol sur dix pages de façon complaisante. Et lui n’est pas interdit !
Comment a réagi le monde du livre à cette nouvelle ?
Vous savez, je n’ai pas l’habitude de tout ça. Je ne suis pas un auteur en vue. Chose que je ne fais jamais d'habitude, je regarde beaucoup Instagram en ce moment. Et j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de librairies, de médiathèques, d’auteurs, d’éditeurs. De son côté, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse veut comprendre pourquoi il n’y a pas eu d’avis contradictoire à cette décision. Parce que finalement, qu’est-ce que ça veut dire quand un ministère attaque un livre comme celui-là ?