Jusqu'à présent inconnu en France, où la littérature yéménite l'est presque tout autant, Ali al-Muqri semble en être l'un des représentants majeurs et plutôt décapant. Journaliste, directeur de revues littéraires, il a publié en 2007 un essai sur l'alcool et l'islam, puis un premier roman, Black Taste, Black Smell, en 2008, sur les Achdam, les Noirs arabisés du Yémen, sujet tabou s'il en est. Le beau Juif, qui nous parvient aujourd'hui, est son deuxième roman, paru en 2009. Etant donné son sujet, il a dû susciter lui aussi, dans le Tout-Sanaa, des réactions passionnelles.
Ce "beau Juif", c'est le jeune Salem al-Nacache, fils d'un charpentier maître en qamariya (des fenêtres ouvragées ornées de vitraux, spécialité yéménite), qui vit dans la petite ville de Rayda, dans le pays profond. On est en 1644, et la cohabitation entre la communauté juive et les maîtres musulmans n'est pas trop conflictuelle. Les uns obéissent et payent tribut, les autres les tolèrent.
Un jour, Salem fait la connaissance de la belle Fatima, qui n'est autre que la fille du mufti de Rayda ! De cinq ans plus âgée que le garçon, elle en tombe aussitôt amoureuse. Et réciproquement. Les tourtereaux vont tout faire pour se rapprocher : Juliette décide d'enseigner à son Roméo à lire et à écrire en arabe (donc le Coran), et le prie en retour de lui apprendre l'hébreu. Mieux connaître l'autre pour l'aimer plus. Mais le scandale, dans les deux communautés, est immense, surtout quand, Salem ayant atteint ses 18 ans, les amoureux décident de se marier et s'enfuient à Sanaa.
Partout ou presque, ils rencontrent l'intolérance, la haine, le rejet. Ce "Juif qui psalmodie le Coran » et cette "femme adultère » n'appartiennent à aucune communauté. Et, de surcroît, Fatima est enceinte. Le petit Saïd sera-t-il juif par son père ou musulman par sa mère ? Salem n'en a cure, d'autant que Fatima meurt en donnant la vie. Par fidélité à sa mémoire, il se convertira à l'islam sous le nom d'Abdelhadi, puis reviendra à ses racines en rédigeant une Chronique des Juifs yéménites. Il y raconte comment le nouvel émir de Sanaa, Al-Mahdi, fit expulser les Juifs de la ville et détruire leurs synagogues. A la mort de Salem, c'est son fils qui reprendra tous les flambeaux : marié lui-même à une Fatima musulmane, père d'un Ibrahim, il achève la chronique de façon macabre : à cause de la vindicte de leurs coreligionnaires, ses parents n'ont pu trouver de sépulture en terre consacrée !
Il est clair qu'en ces temps de fanatisme généralisé, le propos d'Ali al-Muqri n'est pas innocent, et son but apparaît évident : essayer de rendre les gens meilleurs grâce à la littérature. Vaste programme ! Le journaliste-écrivain-moraliste doit participer avec passion à ce "printemps yéménite", qui semble bien long à éclore.